Public Enemies  

Posted by Azariel in

Les années 30 et les événements liés à la Grande Dépression ont de tout temps inspiré les cinéastes hollywoodiens. Vingt-deux ans après Les Incorruptibles de Brian De Palma, Michael Mann signe à son tour une oeuvre flamboyante sur l'un des "héros" de cette sombre époque, le célèbre John Dillinger. Braqueur de banques de haut vol déclaré ennemi public n°1 par le FBI, il fut abattu en 1934 alors qu'il vivait son trente-et-unième été.

Qu'est-ce qui pouvait faire tenir encore debout un homme traqué par les forces de l'ordre, voyant ses amis tomber un à un jusqu'à ce qu'il soit seul face à son destin ? C'est l'une des questions à laquelle le réalisateur américain tente de répondre, mais pas seulement. Car ce qui impressionne en premier lieu dans Public Enemies, c'est le nombre d'horizons thématiques abordés aux alentours d'un mouvement de caméra, aux tréfonds d'un cadrage, dans les abîmes d'une coupe. Tout ici est stupéfiant de limpidité et de beauté, les 2H23 composant le film se consumant en un rien de temps. Derrière le polar ultra-réaliste, Mann parachève d'une main de maître le travail entamé avec Ali, puis perpétué dans Collateral et Miami Vice : l'exploration de l'abstraction du monde via le numérique. Si l'on est estomaqué par les moyens mis en oeuvre afin de reconstituer avec brio l'époque, on est tout autant déconcerté par l'impact créé à travers l'utilisation d'une technique moderne pour décrire un climat d'antan. Il n'est dès lors plus question de reproduire la réalité mais de créer un conte poétique hyper-réaliste, à la fois nerveux et puissant. Chaque angle devient source de narration, et ceux favorisant les gros plans sur le visage de Dillinger en longue focale particulièrement immersifs. L'effet d'interdépendance se retrouve jusque dans la fixité d'un cadre, rendant d'autant plus mémorable le champ / contrechamp mettant à mal Clark Gable sous le regard hypnotique et perçant d'un Johnny Depp aux confins du génie dans une interprétation qui marquera les esprits durablement.


L'acteur fétiche de Tim Burton ne nous avait jamais apparu aussi habité que sous les traits de Dillinger, rivalisant de grâce et de merveille avec ses performances déjà hallucinantes dans Las Vegas parano ou Edward aux mains d'argent. Son regard devient aussi pénétrant qu'il est impénétrable, capable de restituer une froideur en harmonie avec la mise en scène particulière de Mann tout en affichant un monde derrière le monde, avec ces gestes élégants pourtant pleins d'assurance, avec cette ambivalence jusque dans ses actions lui ayant valu le surnom de Robin des Bois par la presse d'antan. Depp est si imposant de par sa capacité à retranscrire avec autant de profondeur l'intériorité-même de son personnage qu'il en écrase les seconds rôles, cette force devenant source de l'un des rares défauts du long métrage. Le duel avec Christian Bale tourne court car la confrontation, obsession fréquente dans le cinéma de Mann, n'en est pas réellement une. Il n'en demeure pas moins que ce personnage de Melvin Purvis offre la parfaite antithèse de Dillinger, l'un en perfectionniste exacerbé, l'autre en passionné fataliste.


Public Enemies s'avère au final être un film obsédant, privilégiant le choc plastique au récit romantique, construit avec une précision diabolique et une mise en scène échappant à l'écueil de la contemplation. Les scènes d'action sont exemplaires et rythment sans peine le tissu narratif d'une densité exceptionnelle au point de nous laisser rêver d'une heure supplémentaire qui n'aurait pas été du luxe pour nourrir le portrait d'ensemble. La réussite est pourtant là, et c'est le spectateur qui s'en réjouira.


En bref : Un choc esthétique, une immersion totale, un acteur au sommet de son art... Public Enemies apparaît comme le meilleur film de Michael Mann depuis Heat, et amène défitivement à penser le numérique différemment. C'est déjà là un sacré exploit !

Rang : A

Plus d'infos sur ce film

This entry was posted on 09 juillet 2009 at jeudi, juillet 09, 2009 and is filed under . You can follow any responses to this entry through the comments feed .

8 commentaires

Marine  

J'en sors... Et whaou! :) Bien d'accord avec toi, Johnny Depp y est éblouissant, Marion Cotillard dont tu ne parles pas également. De beaux acteurs, des plans superbes, une musique souvent bien trouvée... A aller voir!

10 juillet 2009 à 21:15

Hey =p
ça faisait un moment que je n'avais pas posté mais j'ai eu quelques concours et empechements, bref !
Je voulais intervenir sur ta critique de Public enemies car je ne suis pas tout à fait d'accord et que dans ce cas, je me dois d'intervenir ! :D
J'ai trouvé ce film à la fois impressionnat grâce au très beau jeu de Marion Cotillard et à la sublime interprétation de Johnny Deep et à la fois ennuyant. Et oui, j'ai quelques critiques à faire sur le film. Tout d'abord, il m'est arriver sur certaines scènes, notamment la scène suivant la première évasion au début du film, la caméra instable ce n'est pas mon truc, m'enfin c'est un avis assez personnel. Après, le coup de mettre très fort le son quand des bruits fracassants s'imposent ou que des coups de feu retentissent, j'ai trouvé cette idée, bien qu'originale, plutôt désagréable, c'est censé mettre dans l'action mais ça ne fait que détruire les tympans... Enfin de manière plus générale, c'est plus une remarque car ce serais bête de critiquer cela. En effet, l'histoire est moins pleine de reboudissement que ce que l'on voudrais croire et assez basique au finale, mais il est vrai que c'est une sorte de biographie partielle de Dillinger donc du coup, difficile de rendre ça plus surprenant que cela ne l'a été. Ce film reste néanmoins un bon film avec de très bonnes scènes, notamment celle du bois ou encore celle où le braqueur fait un tour dans la cellule de crise qui le recherche !

10 juillet 2009 à 21:26

Damned!
Johnny Depp, un A chez Cinéblog, et pas une salle en VO à moins de 200 km...

11 juillet 2009 à 13:39

@ Marine : Et puis faut quand même l'avouer... Johnny Depp, il transpire la classe :]

Je n'ai pas parlé de la musique (ni de Marion car il ne me semblait pas nécessaire dans mon article de l'énoncer) mais effectivement elle est très intéressante également.

En tout cas ravi de savoir que le film t'a plu !

@ Drazh : T'en fais pas, je comprends, pareil de mon côté niveau occupations sociales. Tu ne voulais pas venir à Paris VII d'ailleurs y étudier le cinéma ?

Nous divergeons sur le goût pour la caméra heurtée, car pour ma part j'adore ces plans lorsqu'ils sont bien faits. Pour prendre deux exemples récents, j'ai envie de citer The Wrestler et son plan à la Dardenne ou encore Rachel se marie, dont tout le film repose sur ce moyen filmique. En l'occurence, dans Public Enemies, je n'ai ressenti aucune gêne de ce côté, donc je n'ai aucune critique à formuler sur le début du film.

Quant à l'histoire, Mann pouvait effectivement la romancer davantage histoire de la rendre plus passionnante, mais le but était aussi de raconter l'histoire vraie de Dillinger, donc d'essayer de s'approcher au plus près des événements, contrairement aux Incorruptibles de De Palma. Les deux démarches sont intéressantes, et j'avoue préférer la seconde à la première.

La seule véritable critique que j'ai à formuler et qui m'a fait ne pas mettre le rang S, c'est le traitement des seconds rôles, moindre que dans Heat par exemple, qui reste à mon goût meilleur que Public Enemies.

@ Sylvaine : Je pense que vu la qualité du film, il restera à l'affiche au grand minimum deux semaines supplémentaires, d'autant que la concurrence à venir est faible, dans la mesure où seuls Harry Potter et Là-haut me semblent prédestinés à faire un carton en juillet.

Voilà qui te laisse le temps d'y aller ! Pour ma part, pour tout te dire, j'y retourne demain (bah ouais, un "A" sur CinéBlog, ça se vaut au moins deux fois au cinéma ! :D)

11 juillet 2009 à 14:39

vu hier ...

J'ai trouvé ça plat. En fait je pense que je n'ai pas réellement compris l'approche de Mann, ou en tout cas que je n'y ai absolument pas été sensible. J'ai l'impression que tout a été sacrifié à l'esthétique du film. J'ai l'impression de ne pas mieux connaître le personnage de Dillinger après le film qu'en y arrivant. Le personnage est à peine esquissé. Quant à Purvis on le voit en permanence dans la même posture. Les relations avec les autres sont trop rapides, baclées, elles émergent au dernier moment comme un cheveu sur la soupe. On ne comprend que le mec a une relation particulière avec son pote mort qu'à la mort de ce dernier.

J'ai en outre trouvé l'intrigue et les scènes de bagarre assez plates. Une ou deux attaques de banque stylisées qui doivent représenter quoi? 4 minutes de film? la scène du bois ça commence pas trop mal mais je me suis ennuyé avant la fin. Manque de punch !

Et c'est quoi le propos du film? raconter l'histoire de Dillinger? mais pourquoi dans ce cas aussi peu rentrer dans le personnage? L'idylle avec Cotillard est elle aussi baclée. Ok il l'emballe en trois minutes, ok il est charismatique, ok il est très assuré. Et donc? On avait déjà compris ça avant, dès la première scène. Pas besoin de le redire. On aurait pu aller plus loin non?

On se place du côté de la police? (dans ce cas dans la tête de Purvis) C'est peut être le plus réaliste. Donc on voir Dillinger comme une cible et on identifie les éléments qui permettent de le choper ainsi que la méthode (l'isoler pour le conduire à des actes désespérés) Super, à la fin du film on sait que Dillinger aime les manteaux cintrés... dingue !

Et la légende? elle sort d'où? ok un mec nous dit au passage que le gars rend la thune. Et pourquoi ça n'est pas développé? on aurait largement pu remplacer une scène de baston par ça. A aucun moment on ne batit la légende Dillinger parce qu'à aucun moment on ne développe ce personnage.

Il y a cependant quelques bonnes scènes. Celles où l'esthétique est primordiale comme celle de l'aterrissage avec Dillinger prisonnier et la confrontation qui suit.

Enfin, et c'est aussi une des choses qui m'ont rendu ce film passablement désagréable, les méthodes de la police sont scandaleuses. D'ailleurs, pour la suite, je parlerai de bouchers plutôt que de flics.

Dans ce film le seul mec qui semble avoir un minimum d'éthique est donc Dillinger. Les bouchers sont des assassins et des incapables (ils n'arrêtent aucun criminel, ils les tuent). Au final on se dit que les plus nuisibles ce sont eux.

Et donc voir 2h30 de bavures, assassinats commis au nom de la loi, tortures et autres joyeuseries, ça me fout hors de moi. Quand en plus on se borne à expliquer que Purvis a un peu perdu le sommeil pour justifier les précédents atrocités, j'ai un peu l'impression qu'on trouve ça normal alors que ça ne l'est pas ! Enfin c'est ahurissant de voir purvis tirer en pleine poitrine de pretty face alors qu'il est OBLIGE de tirer dans les jambes. Et ça ne gêne personne ? Moi ça m'a vraiment fait grincer les dents et c'est l'une des raisons qui font que je n'ai pas du tout aimé ce film.

Au final je pense que ce film ce veut une sorte de fresque plus sur une époque que sur des personnages. Or, je ne suis pas du tout sensible aux fresques, je préfère les portraits, que ce soit en peinture ou au cinéma. Et oui, je vais commettre un des péchés capitaux de cinéblog, oui je pensais déjà la même chose de Heat que je n'avais pas aimé. Comme quoi il semble que je ne suis tout simplement pas sensible au style de Mann.

15 juillet 2009 à 10:40

@ ada : Ceux qui n'adhèrent pas à Public Enemies tendent à dire que le film est trop long parce qu'il souffre d'un nombre important de longueurs. Un ami avec qui je suis retourné le voir a même fait la comparaison entre le film de Mann et L'Assassinat de Jessie James par le lâche Robert Ford. Je ne suis pas d'accord.

Esthétiquement, Public Enemies est une grande réussite. Mais c'est aussi une révolution en soi dans la manière d'utiliser le numérique, le film représentant l'accomplissement d'un travail entamé par Mann sur le sujet depuis plusieurs longs métrages.

Il n'était effectivement pas question de faire un portrait de Dillinger, et je pense que son histoire n'aurait pas été intéressante à raconter de la sorte. Mais si effectivement Heat ne t'avait déjà pas plu (ô vil sacrilège), alors c'est qu'effectivement tu n'es peut-être pas sensible au travail du bonhomme, ce qui en soi n'est pas hérétique.

En revanche je te contredis sur un point : ton analyse sur la police d'antan. Je te rappelle que nous sommes dans les années 30, à Chicago qui plus est, dans une Amérique secouée par la Prohibition. Capone vient juste de tomber grâce au courage d'Eliot Ness, il n'empêche que la ville reste sous le joug de puissants syndicats du crime, et Hoover, loin d'être un saint homme, est à la tête du Bureau of Investigation (devenu par la suite le FBI, en 1935).
Il apparait évident que la violence de la police est justement très concrète à cette époque, et d'ailleurs il ne faut oublier que Dillinger est à l'origine d'une loi fédérale qui va changer beaucoup de choses.

Quoiqu'il en soit, je comprends tes réticences concernant ce film, mais je pense que les attentes que tu plaçais dedans ne sont pas les préoccupations de Mann, et du reste elles n'étaient pas les miennes non plus, ce pour quoi je pense que le film est une grande réussite même si je le trouve bien en deçà de Heat.

17 juillet 2009 à 17:02

D'accord : questions de point de vue, d'attentes et de ressenti pour les points évoqués à l'exception d'un : la police.

Je ne conteste pas du toutla violence de la police à l'époque.

Ce que je conteste en revanche c'est que le film le présente sans aucune réflexion, comme si c'était normal. Alors certes, on sent bien Purvis géné aux entournures et on nous dit bien à la fin qu'il s'est donné la mort dans les sixtees. Mais qu'est-ce que sont ces quelques allusions évasives face à ce qui nous est montré à l'écran : une suite ininterrompue d'exécutions sommaires. Je suis surpris que le film, à aucun moment ne prenne un pouce de recul pour montrer la monstruosité de la chose.

Parce que je répète que même à l'époque ce genre de comportement est anormal ! Les principes d'un état de droit n'ont pas réellement évolués sur ce point entre cette époque et la notre. Or le montrer juste comme ça semble une façon de le valider, et c'est cette validation qui m'a assez profondément choqué. (ok, de part mon métier je suis très sensible à ce genre de chose mais tout de même !!)

Et le thème est présent : l'assassinat de pretty face au début qui ressemble à une scène de safari, la dernière politesse du vieux flic qui a tiré dans le dos, le gros lard qui tabasse la fille et qui n'a à la fin qu'une idée : tuer, la discussion avec le médecin. Pourquoi aborder de cette façon sans traiter ?

Je suis géné par les choix de scénario et de mise en scène : trop banalisé, trop "la fin justifie les moyens". Et Dillinger va entrainer une loi fédérale pour changer les choses ? Très bien, elle se situe là la critique. C'est peut être sur ça qu'il fallait finir pour dire : ce que vous avez vu ce n'est pas un travail de police, c'est une chasse à l'homme.

Le titre du film lui-même appelait cette réflexion !! La notion même d'ennemi public numéro 1 appelle la traque, la chasse à l'homme et la police vengeresse. C'est ça qu'il aurait fallu dénoncer, c'est ce choix qui n'a pas été fait, c'est ceci que je reproche à Mann et son scénariste.

Je pense qu'on ne peut se contenter de "montrer". Il faut parfois juger, car la caméra a l'art de justifier si on n'y prend garde. Peut-être à lier avec cette question de "montrer le mal" posée dans la critique de the reader? :)

Quant à Hoover, il reste particulièrement contesté, notamment sur ses relations avec la mafia de chicago ... qui l'aurait probablement contrôlé dans une large mesure.

17 juillet 2009 à 17:41

@ ada : Je pense qu'il faut vraiment prendre Public Enemies pour ce qu'il est, à savoir un exercice de style amplement réussi, comme l'était Miami Vice auparavant.

Il m'apparait très clair dès les premières images, dans le choix-même de choisir le numérique, dans la façon de filmer, que Mann ne veut surtout pas faire un film historique, une chronique sur Dillinger dont le but est d'être réaliste. Je te renvoie d'ailleurs à ma critique dans laquelle je pense expliquer qu'il y a bien volonté d'abstraction. J'aurai pu davantage développer mais ce serait faire une analyse et pas une critique.

En fait, pour faire court, ce que j'essaie de te dire, c'est que la police, ses méthodes, la traque, on s'en fout dans ce film. Ce n'est pas son intérêt. Mais je pense en effet que tu es passé à côté du chmilblic, ce qui n'est pas très grave si en effet à la base Michael Mann n'est pas ta came.

Cela dit si Brian De Palma avait fait la même chose dans Les Incorruptibles, sachant que la volonté n'est pas la même, tes remarques auraient en effet pu dénoter des points gênants. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres lecteurs de CinéBlog qui ont vu le film, la question est de toute façon intéressante à poser.

Pour ma part, tes questionnements n'ont absolument pas été les miens, et tout ceci ne m'a gêné aucunement, sinon que j'aurai aimé que les seconds rôles soient un peu moins mis en retrait.

21 juillet 2009 à 01:43

Enregistrer un commentaire