Le Bon, la brute et le cinglé  

Posted by Azariel in

On l'aura attendu le prochain film de Kim Jee-Woon, réalisateur du sublime A bittersweet life, arrivé en France le 10 Mai 2006 mais dans salles sud-coréennes dès le 1er Avril 2005. Il a donc fallu s'armer de patience pour voir de nouveau à l'oeuvre l'un des plus talentueux, sinon le plus talentueux réalisateur sud-coréen de sa génération, mais quel résultat !

Sorcier touche-à-tout, attiré par le cinéma de genre, lui-même avouait récemment qu'il envisageait prochainement de faire un film de SF très sombre à la Blade Runner, un film d'action de la même trempe que la saga Bourne, et d'un thriller façon frères Coen.
Dans Le Bon, la brute et le cinglé, il n'est pas compliqué de deviner à quel sacro-saint genre Kim Jee-Woon s'attaque tant le titre du film se réfère directement au modèle dont il entend rendre hommage, et quel hommage !

La tâche pourrait paraître aisée, il suffirait de faire un remake du chef-d'oeuvre de Sergio Leone, en prenant soin de piller le western américain de ses codes et de ses conventions comme le firent jadis les cinéastes italiens. Grossière erreur que ne commet pas le cinéaste coréen qui avouera de lui-même ne pas se reconnaître dans l'idéologie et les valeurs américaines, plus sensible qu'il est à l'ambiance cinématographique des westerns-spaghettis, bien moins étouffée par un certain conformisme.
Point de conquête de l'Ouest, nous ne sommes pas ici aux États-Unis, les ennemis ne sont guère de vils indiens et la tragique destinée du cow-boy civilisateur participant à sa propre disparition n'est en rien effleurée. Si dans Une Aventure de Buffalo Bill de Cecil B. DeMille l'on réfléchit à l'énergie nécessaire pour permettre à une nation de se construire, Le Bon, la brute et le cinglé narre la course de trois coréens se disputant un trésor dans la Mandchourie des années 30 alors occupée par le Japon. Un pays en plein chaos sous le joug de l'empire nippon et n'étant pas le leur, on est bien loin du contexte historique typique du western américain, mais quelle toile de fond !

The Good ! (Jung Woo-Sung)

Ce sera donc du côté du western crépusculaire que l'oeuvre de Kim Jee-Woon trouvera un écho référenciel, mais une fois encore, le cinéaste prendra la mythologie à contre-pied en nous offrant des personnages hauts en couleur, loin de l'iconographie instaurée par Clint Eastwood et ce personnage d'anti-héros trouvant son apogée avec Impitoyable en 1992. Kim Jee-Woon dope ses personnages avec une dose d'excentricité mais sans jamais tomber dans la caricature grotesque, il singe les conventions sans jamais leur tourner le dos et réussit le pari fou de réinventer le genre en piochant à la fois dans le western-spaghetti et en même temps dans le cinéma d'action asiatique. Non que le film soit supérieur à ses illustrés aînés, mais il transcende avec brio le genre car il le dépasse en étant d'un autre ordre, et quelle transcendance !

Des personnages dont le charisme fou doit beaucoup à son casting en or, la présence de trois grandes stars du cinéma coréen ayant permis de décrocher un budget avoisinant les 17 millions de dollars, soit le film le plus cher de l'histoire du cinéma sud-coréen à ce jour (le précédent record était détenu depuis 2002 par Musa, la princesse du désert, avec un budget proche des 15 millions de dollars). Ce constat impressionne tant le film parait en coûter 4 fois plus, d'autant que Kim Jee-Woon avait une véritable volonté d'éviter l'utilisation à outrance des effets spéciaux, préférant la bonne vieille méthode aux trucages numériques. Une vision bazinenne ("Il vaut mieux filmer le truc que truquer le film") qui ne déservira à aucun instant l'hyperréalisme du film, et témoignera de la virtuosité du cinéaste, particulièrement durant les scènes d'action. Et quelles scènes d'action !

La Brute ! (Byung-hun Lee)

Le Bon, la brute et le cinglé est une ode d'amour au cinéma du genre, une hyperbole frénétique dont le rythme n'a d'égal que l'ingéniosité et la créativité du cinéaste à mettre en place les gunfights. La fusillade éclatant dans le marché est à ce titre sidérante, et l'on sent une véritable maîtrise de la spatialité des décors, une réussite insolente à donner à chaque moment de bravoure une générosité et une fougue sans nul autre pareil.
Une insolence qui se caractérise également dans le caractère comique fortement prononcé des situations dans lesquelles les personnages se retrouvent, Kim Jee-Woon s'autorisant quelques plans farfelus en passe de devenir cultes, ainsi que l'alternance en pleine maestria de séquences profondément drôles et d'action pures et dures grâce à un jeu subtil sur les coupes et les raccords. La séquence où deux morts finiront postérieurs au garde-à-vous illustre à elle seule cette débauche d'énergie, où l'on sent tout le talent du metteur en scène à rendre euphorisant chaque instant de son film, et quelle euphorie !

On l'aura compris, le metteur en scène prend plaisir à varier les styles, à brosser en un film l'histoire du western depuis qu'il est ce qu'il est grâce à James Cruze (La Caravane vers l'Ouest) et John Ford (Le Cheval de fer) dans tout ce qu'il représente filmiquement, non sans suivre une démarche à la fois Tarantinesque et propre au cinéma asiatique, pour finalement s'approprier une oeuvre ultra-référencée et apposer sa griffe sans que l'on puisse y voir un quelconque plagiat. Une oeuvre éclairée et astucieuse, un chef d'oeuvre qui ne doit rien à personne et dont on pourra reprocher de n'être que du cinéma de divertissement, mais quels moments de bonheur !

Le Truand Le Cinglé ! (Song Kang-Ho)

Oeuvre comtemplative et déjantée à souhait, passionnée et transpirante de sincérité, parfois irrévérencieuse et ironique (doit-on voir dans le choix du thème musical Don't let me be misunderstood de Santa Esmeralda un pied de nez à Tarantino qui s'en servi dans Kill Bill : volume 1, façon de dire "t'es gentil, tu vas pomper tes idées ailleurs" ?), la violence propre au cinéma d'action sud-coréen peut en gêner plus d'un(e), mais passés ce cap, vous ne pourrez que vous extasier devant Le Bon, la brute et le cinglé. Et quelle extase !

En bref : L'un des films de l'année, tout simplement.

Rang : A


Plus d'infos sur ce film

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13 commentaires

C'est un film dont j'entends parler depuis quelques temps (même en dehors de ton blog). J'aime beaucoup le cinéma coréens (enfin les films que j'ai vu : Infernal Affairs, Musa, Old Boy, The Host...) et celui m'attirait particulièrement.

Ta critique, très bien faite au passage, me confirme dans ce choix. Faut que j'aille le voir!!!!!

Par contre, j'aime bien aller au ciné avec ma chère et tendre, mais je suis pas sûr qu'elle appréciera.
Ce film était il facile d'accès pour les femmes notamment (et aps super aware sur les films asiatiques)?

22 décembre 2008 à 10:08

@ Kameyoko : Petite correction, Infernal Affairs n'est pas un film coréen mais un film HK. Je n'ai d'ailleurs pas le souvenir d'avoir vu, me corriger si je me trompe, Tony Leung, Andy Lau et Anthony Wong dans un film coréen.

Merci pour le compliment sur la critique, un ami à moi (Loky5, en fait) m'a dit ne pas du tout l'avoir aimé car trop référencés, donc indigeste à ses yeux. Je me suis expliqué avec lui en lui disant que pour un film ultra-référencé, il fallait une critique référencée, d'autant qu'il me semble ne pas "balancer" les références n'importe comment, j'explique en quoi celles-ci sont convoquées. Si cela t'a plu, ça me rassure.

Pour te répondre, je suis allé voir Le Bon, la brute et le cinglé avec une femme et à un moment, à force de la voir tourner les yeux, je me suis demandé si la violence (car le film est relativement violent, comme la majeure partie des films sud-coréens) ne la gênait pas. Je lui ai demandé si elle souhaitait que nous partions, elle m'a dit que non et m'a confié à la fin du film avoir beaucoup apprécié le long métrage.
Maintenant, elle n'est pas à elle seule représentative des goûts féminins, d'autant qu'elle est étudiante en japonais et fan de la culture asiatique. Si ton amie est réfractaire à cette culture et aux westerns, je ne pense pas que ce film lui soit recommandé.
Cela dit, cela ne reste que de la théorie, ne connaissant pas ses goûts, difficile de me prononcer.

De manière générale, le film peut se lire de deux façons : on le prend tel quel, ou bien on connait les références convoqués par Kim Jee-Woon et l'on s'amuse de tels détournements, de tels pied-de-nez. Je pense qu'être un spectateur de la seconde catégorie permet d'apprécier bien mieux Le Bon, la brute et le cinglé. Il faut au moins avoir vu et aimé Le Bon, la brute et le truand de Sergio Leone, mais sans se formaliser sur une attente type remake, sinon on risque de passer à côté du contexte référenciel et du propos du cinéaste.

En espérant avoir pu te répondre ^^

22 décembre 2008 à 10:22
Anonyme  

Tout à fait d'accord avec toi sauf sur la partie ou tu fais dire des choses à propos de Tarantino.
Sinon un excellent western comme je n'en avais pas vu depuis longtemps!

26 décembre 2008 à 01:01

@ Z[é] : À dire vrai depuis l'écriture de la critique j'ai eu la réponse à mon interrogation et effectivement Kim Jee-Woon dans une des nombreuses interviews que j'ai lu de lui (celle dans Score Asia si je ne dis pas de bêtises) a confirmé qu'il faisait un pied-de-nez à Quentin Tarantino en ayant repris Don't le me be misunderstood.

Cela dit ce n'est qu'un détail, pour les autres références, elles sautent suffisamment aux yeux et sont suffisamment claires pour que l'on comprenne la démarche du cinéaste.

Me concernant, le dernier western m'ayant plu autant est Impitoyable d'Eastwood. C'est dire !
(Appaloosa était pas mal mais toutefois perfectible)

PS : Impitoyable reste the ultimate western movie from my point of view ;-)

26 décembre 2008 à 02:14
Anonyme  

Vu vos critiques j'ai profité d'un passage obligé sur Lille pour passer le voir au kiné (comme dit ailleurs nb faible de copies = aucune salle à moins d'une heure de chez moi...) et c'est vrai que je n'ai pas été déçu.

La BO est magnifique ,le décor sublime, pas énormément de personnes dans la salle mais certains passages faisaient leur effet , j'ai qd meme trouvé que le personnage du bon était un peu sous exploité. J'ai passé un bon moment , mais bon faudrait penser a arreter de faire exploser le prix des entrées.

31 décembre 2008 à 12:15

@ H : L'un des films de l'année, assurément :)

Le personnage du Bon n'est pas sous-exploité, il a en fait si tu fais attention le même temps de présence à l'écran que les autres personnages, mais surtout là où l'on s'attendait à ce que cela soit le personnage principal comme Eastwood était quelque part celui de la version de Leone, ici il est celui à la recherche du "coupeur de doigts". Un autre joli pieds-de-nez à la version dont s'inspire cette merveilleuse oeuvre cinématographique.

Quant aux prix des places, je te rappelle que nous sommes l'un des seuls pays au monde à avoir une carte d'abonnement, ce qui au final arrange grandement les gros consommateurs cinéphiles tel que moi :p
Mais effectivement, 10 € une place, cela fait peur quand on songe à l'inflation future : à quand la place de cinéma aussi chère qu'un DVD ?

31 décembre 2008 à 23:42
Anonyme  

J'ai vraiment adoré ce film, l'action, l'humour, la violence forment un équilibre proche du parfait. Pas de temps mort, bref, un excellent moment.

3 janvier 2009 à 11:12

@ Willène : Tout à fait ! J'allais le dire (à moins que je ne l'ai déjà dit).
Content que tu aies apprécié ce film, c'est une preuve de bon goût !

3 janvier 2009 à 11:52
Anonyme  

Par sous exploité j'entendais qu'il n'a vraiment de bon que le nom et que même (ou d'autant plus?) s'il a le même temps de passage que les deux autres, il marque les esprits beaucoup moins (du moins le mien) que ses deux compagnons.

Me semble que c'est le cinglé qui dans son inteview disait que les 3 personnages avaient du bon , de la brute et du cinglé en eux , mais autant on sent que le cinglé et la brute ont une réelle histoire derrière eux , autant le premier non !

Je m'attendais à 3 personnages principaux , j'ai plus eu l'impression d'un 2 + 1 type de passage.

J'ai quand même beaucoup aimé ! et j'aurai tj la musique dans la tete.

3 janvier 2009 à 12:41

@ H : Je comprends tout à fait ton point de vue, pas irréfutable mais justifié. Je te rappelle néanmoins que le Bon chez Leone n'est pas si bon non plus : il est le premier à trahir le Truand, et l'entourloupe du début à la fin, la traversée du désert où il a failli mourir faisant l'exception.

Je ne pense pas qu'il faille voir en ces personnages une véritable caricature du titre qu'ils portent, la Brute ayant pour ma part été le personnage qui m'ait le moins plu (comme quoi, tu vois, on peut avoir plusieurs visions des personnages).

Quant à marquer les esprits... Je ne suis pas d'accord. Le Bon, ce sont les meilleurs scènes d'action du film. C'est le personnage qui est le plus virtuose, le plus stylé dans sa façon de vaincre ses ennemis. Il t'a moins marqué parce qu'il est celui qui est le moins développé d'un point de vue humain, mais il est celui qui a les meilleures scènes d'action, et penser à l'action quand je repense à ce film, c'est penser illico à ce personnage. Un personnage d'action, en somme. Nul besoin de s'étendre davantage que Kim Jee-Woon ne le fait sur son passé.

3 janvier 2009 à 13:44

De retour sur cet oeuvre incroyable, je voulais juste te demander ce que tu entendais dans ton dernier paragraphe, j'avais remarqué la référence à Tarantino, mais je n'ai pas compris son sens !

2 janvier 2010 à 04:05

@ Drazh : Ahah, ressortir les vieilles critiques un an après le dernier commentaire ! Il a fallu que je me relise pour te répondre, et je ne vois pas en fait ce qui manque de clarté dans mon dernier paragraphe. De mémoire il me semble avoir lu une interview de Kim Jee-Woon qui s'agaçait de voir Tarantino référencer à outrance le cinéma asiatique et de ne pas en tirer une quintessence autrement plus flatteuse que ce qu'il en a fait jusqu'à présent. Cette séquence donc peut être interprétée comme une sorte de "voilà mon gars ce que c'est que ça donne quand le cinéma asiatique pompe sur le cinéma américain ! On a pas le même niveau déjà !"

3 janvier 2010 à 13:37

Ah d'accord, j'ai enfin compris, j'avais juste du mal à voir clairement, peut-être la fatigue !
Merci !

3 janvier 2010 à 16:03

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