Après un Casino Royale incroyable et remettant au goût du jour la saga bondienne, c'est peu de dire que ce Quantum Of Solace était très attendu. D'autant que fait inédit, le 22ème opus s'inscrit directement dans la suite de son prédécesseur, l'histoire reprenant là où nous l'avions laissé.
Vesper morte, James Bond (Daniel Craig) veut des réponses, et il commence par en demander à Mr White (Jesper Christensen), membre d'une obscure organisation si profondément infiltrée que même le Mi-6 et la CIA n'en connaissent pas l'existence. Sa croisade emmènera notre agent secret préféré sur les traces d'un certain Dominic Greene (Mathieu Amalric), homme d'affaires oeuvrant pour la fameuse organisation et cherchant à contrôler une des plus grandes ressources naturelles au monde, semble-t'il le pétrole. C'est pourquoi ce dernier manigance avec le général Medrano (Joaquin Cosio) pour renverser le gouvernement bolivien, et cela au nez et à la barbe des américains et des britanniques. Bond trouvera sur son chemin Camille (Olga Kurylenko), pendant féminin dans une quête vengeresse commune.
Scénario à nouveau signé Paul Haggis (à qui l'on doit les scénarios de Million Dollar Baby (2005) et le dyptique Mémoires de nos pères (2006) / Lettres d'Iwo Jima (2007) de Clint Eastwood, de Collision (2005) et de Dans la vallée d'Elah (2007) qu'il réalisera lui-même), autant dire que le bonhomme n'a plus grand chose à prouver et pourtant...
Peut-être est-ce une des conséquences du peu de temps qu'il y a entre les deux opus (un poil plus de 23 mois) mais autant Casino Royale prenait le temps de construire un mythe, un réseau de trames et de machinations se nouant les unes aux autres, autant Quantum Of Solace fait le strict minimum, l'histoire pouvant se résumer à une succession de scènes d'action et d'ennui profond (dialogues sommaires, intrigue quasi-inexistante). Un scénario un peu juste en somme pour un James Bond qui aurait sûrement mérité plus d'attention.
Le pire ne se situe hélas pas à ce niveau, Quantum Of Solace trouvant ses plus vilains défauts dans sa mise en scène.
Marc Forster est le cinéaste à qui nous devons À l'ombre de la haine (2002), film ayant marqué les esprits masculins pour une scène anthologique aillant valu à son interprète Halle Berry l'Oscar de la meilleure actrice (Oscar qui du reste lui monta un peu à la tête, les connaisseurs de la saga X-Men sauront à quoi je fais allusion), ainsi que le très moyen Stay (2006) et le récent Les Cerfs-volants de Kaboul (2008). On se demande dès lors pourquoi les producteurs ont choisi un réalisateur inexpérimenté dans un genre qu'il ne connait pas en lieu et place du très expérimenté Martin Campbell, si ce n'est pour acheter une crédibilité respectable à la saga. L'idée aurait pu être alléchante mais difficile de comprendre un cinéaste déclarant que le thème de son Bond est la confiance quand tout porte à penser qu'il aurait fallu ici traiter de la vengeance.
Certaines scènes d'action sont réellement bien mises en boîte et certains plans fort bien sentis. Que cela soit la scène de poursuite ouvrant le long métrage ou bien celle où James vient au secours de Camille au volant d'un bateau, Quantum Of Solace impressionne par son visuel plus poussé et donc plus jouissif que celui de Casino Royale. Seulement Forster fait deux erreurs majeures, d'abord d'un point de vue artistique et ensuite d'un point de vue comparatif.
En effet, le cinéaste par deux fois use d'un montage parallèle (façon Eisenstein dans La Grève, 1925) mettant en juxtaposition scènes d'action intenses et scènes annexes ayant un rapport sémantique entre elles (James Bond poursuit un vilain, Forster nous montre parallèlement une course de chevaux sensée représenter les deux hommes en pleine poursuite). On y gagne certes d'un point de vue esthétique mais on y perd grandement au niveau de la nervosité de l'action, Forster sabotant lui-même la violence de ces scènes. Un comble quand il s'agit qui plus est des scènes les plus spectaculaires !
Autre point sensible, les scènes de combat et de poursuite s'inscrivent dans la lignée de la trilogie Jason Bourne (ce que Martin Campbell avait soigneusement évité de faire, à juste titre) et il se trouve que Marc Forster n'a pas le quart du talent de Paul Greengrass pour filmer l'intensité d'une bagarre ou la course-poursuite entre Bond/Bourne et son ennemi. La séquence où l'agent 007 poursuit un traître nous rappelle par ailleurs étrangement celle où Bourne (Matt Damon), dans La Vengeance dans la peau (2007), se met à sauter de toît en toît à Tanger pour sauver Nicky (Julia Stiles) du sort que lui réserve Desh (Joey Ansah), jusqu'à ce plan mémorable où Bourne saute d'un balcon à un autre, traverse la fenêtre et s'attaque à son opposant, cela sans la moindre coupe, la caméra allant même jusqu'à accompagner l'acteur dans son élan. Même topo pour l'agent le moins secret au service de Sa Majesté qui va de toît en toît et de balcon en balcon sauf que lorsqu'on passe derrière Bourne avec bien moins de virtuosité, la comparaison n'aide en rien le film de Forster.
En résulte un Marc Forster faisant du Paul Greengrass sans être Paul Greengrass. Et c'est Quantum Of Solace qui trinque.
Autre déception, les acteurs.
J'ai beau avouer que je trouve Olga Kurylenko très belle, force est de constater qu'elle n'arrivera jamais à s'imposer autant qu'Eva Green n'imprègne sur la pellicule sa grande classe. Elle donne certes de la consistance à son rôle de femme dévorée par la veangeance (ce qui n'explique pas par ailleurs les errances du scénario la rendant suffisamment stupide pour s'exposer plus d'une fois : il ne manquait plus qu'à peindre une cible sur ses robes histoire d'enfoncer le clou) mais passer derrière la performance de notre frenchie lui est fort préjudiciable.
Pour rester sur le sujet des James Bond Girls, quid de l'agent Fields (Gemma Arterton) qui ne sert absolument à rien dans le métrage ? Un personnage sans intérêt dont Forster aurait pu nous dispenser pour se concentrer sur les véritables enjeux du film.
Même chose pour René Mathis (Giancarlo Giannini) dont le retour aide à faire avancer l'intrigue mais qui au final aura un impact dérisoire en comparaison de son rôle dans Casino Royale.
Quant à Mathieu Amalric, il souffre du même problème qu'Olga Kurylenko dans la mesure où Mads Mikkelsen avait incarné Le Chiffre de manière magistrale auparavant, tandis qu'Amalric semble autant surjouer qu'il abuse de son regard naturellement inquiétant. Seul hic : un attrait physique ne fait pas le méchant.
Et pour finir Daniel Craig, qui n'apporte hélas pas grand chose au personnage de Commander Bond, et se montre encore plus inexpressif qu'un cadavre.
Je ne parlerai pas de l'homme de main de Greene, Elvis (Anatole Taubman), aussi ridicule qu'inintéressant.
Reste à sauver dans ce désastre Judi Dench qui incarne M avec autant de panache que dans l'opus précédent, se montrant toujours très habile dans ce personnage double vis-à-vis de son agent (préféré ?).
Encore un point qui agace, le générique. Comme je l'avais indiqué dans le Zoom sur Casino Royale, la musique de Chris Cornell faisait merveille, son You know my name collant parfaitement à l'univers Bond. Mais que dire de cet Another way to die d'Alicia Keys et Jack White si ce n'est qu'en plus d'être horriblement inaudible, la chanson a autant sa place dans un générique de James Bond que ne l'avait celle Madonna et son Die another day. À se demander si Amy Winehouse, même shootée au prosac, n'aurait pas fait mieux. Sisi, je vous l'assure.
On pourra regretter également l'absence du fameux "Bond, James Bond" nous rappelant les bons vieux automatismes de la saga, ou encore l'absence en fin de séquence introductive du plan où l'on voit 007 tirer plein cadre, lancant ainsi le générique.
Néanmoins Marc Forster assure le minimum en reprenant à son compte les nouvelles règles que Martin Campbell a instauré dans son second film bondien : une fois encore, James Bond ne se sert pas de gadgets plus improbables les uns que les autres, ancrant davantage la saga dans un monde contemporain plus réaliste, ce qui n'est pas pour nous déplaire tant le sujet du film (l'écologie et les ressources naturelles) et un débat plus que d'actualité.
Toujours aussi noir, la nouvelle direction de la saga entamée dans le 21ème opus fait plaisir à voir et bien que plus sombres, les aventures de l'agent secret créé par Ian Fleming n'en demeurent pas moins toujours aussi passionnantes à suivre. C'est d'ailleurs ce qui sauve en grande partie le film.
Marc Forster nous rend donc au final une copie propre mais l'on attendait de lui bien plus, ne serait-ce que tenir la comparaison avec Casino Royale, ce qui hélas n'est guère le cas. En espérant que le réalisateur s'occupant de la 23ème aventure de l'agent britannique soit un peu plus câlé pour ne pas perdre l'essence de la saga nouvelle (vous l'aurez compris, je vote Paul Greengrass).
En bref : De temps en temps décousu, manquant singulièrement de nervosité, doté d'un scénario trop juste, Quantum Of Solace est une déception à plus d'un titre. L'essai n'a pas été transformé et l'on en vient à se demander si plus de deux ans auraient été nécessaire pour parfaire la suite des aventures de notre espion britannique préféré. Ce 22ème opus n'en demeure pas moins un bon film, plaisant à suivre, et dont on aurait tort de se passer. En espérant (beaucoup) mieux prochainement.
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