Réalisé par Martin Campbell
Film d'action américain (2006)
Durée : 2H18
Avec Daniel Craig, Eva Green, Mads Mikkelsen, Judi Dench
Sortie française au cinéma : 22 Novembre 2006
Son nom est Bond, James Bond. Après quatre ans d'absence sur nos écrans, le plus connu des agents secrets revient sous la houlette de Martin Campbell, réalisateur néo-zélandais déjà à la tête de GoldenEye en 1995 mais également des deux dernières adaptations cinématographiques du héros masqué Zorro, à savoir Le Masque de Zorro (1998) et La Légende de Zorro (2005).
Retour sur un film qui à plus d'un titre restera comme l'épisode marquant le renouveau du chouchou de sa Majesté et certainement l'un des meilleurs James Bond de la saga.
C'est qui Daniel Craîîîgue ?
Mon père est un amoureux transi de la saga. Autant dire que je suis tombé dedans lorsque j'étais petit tant les films consacrés à James Bond passaient fréquemment sur notre écran de télévision. Je me souviens de notre première réaction lorsque Daniel Craig fut présenté à la presse et au public comme nouvelle incarnation de Bond : "Mais il est blond !?!" suivi d'un "Aucune classe ce type !".
C'était donc sans grande conviction que nous attendions le prochain volet de la saga, déjà plombée par des épisodes précédents à la qualité plus que discutable.
Faire du neuf avec du vieux
Il aura fallu attendre six ans et l'arrivée à la barre du capitaine Martin Campbell avec en premier matelot l'irlandais Pierce Brosnan pour que la franchise soit relancée dans ce que je considère comme l'un des meilleurs opus de la saga, à savoir GoldenEye.
Quant à Brosnan, il s'est fait surtout connaître sur le petit écran dans la série mettant en scène Les Enquêtes de Remington Steele, sa carrière sur grand écran n'étant jalonnée essentiellement que de petits rôles dont un dans Madame Doubtfire (1994) de Chris Columbus, son rôle le plus marquant restant sans conteste celui du Dr Lawrence Angelo dans Le Cobaye (1991) de Brett Leonard.
Hélas, les opus qui suivront GoldenEye ne permettront pas de confirmer le nouvel élan que Campbell insuffla à la saga. Demain ne meurt jamais (1997) de Roger Spottiswoode souffrira du manque de génie de son script, Le Monde ne suffit pas (1999) de Michael Apted sera des plus conventionnels et ses personnages des moins crédibles, et pour conclure, Meurs un autre jour (2002) de Lee Tamahori sera une hérésie non pas à la saga, mais au cinéma en général. D'ailleurs, non seulement le vingtième opus se fourvoie totalement en étouffant le long métrage de gadgets bondiens tous plus rocambolesques les uns que les autres, mais surtout je crois bien que jamais une bande originale ne fut autant indigeste que celle de Meurs un autre jour, avec en point d'orgue le fameux Die Another Day de Madonna, qui pourtant avait déjà signé une très bonne chanson pour les besoins d'un Austin Powers (Beautiful Stranger).
Un retour aux sources s'imposait donc pour une série dont l'image était plus que ternie après plus de quarante ans d'existence dans le paysage cinématographique.
Campbell, ce héros
Quoiqu'il en soit, logique que l'on appelle à la rescousse le dernier réalisateur ayant permis à Bond d'avoir un opus digne de ce nom, d'autant que le réalisateur néo-zélandais avait depuis frappé fort avec son Masque de Zorro, aidé en cela par un Antonio Banderas des grands jours, un Anthony Hopkins toujours au top et une Catherine Zeta-Jones que le public découvrira mâchoire décrochée jusqu'au sol, moi le premier.
Il sera question dès lors de reprendre le mythe instauré par Ian Fleming depuis le commencement, à partir du moment où James Bond obtiendra son fameux permis de tuer, inhérent à sa condition d'agent double zéro.
En somme, un James Bond plus jeune, moins aguerri, et surtout plus brut du décoffrage : voilà le nouveau pari des producteurs de la saga pour rendre le film tout simplement plus contemporain.
Un choix des plus judicieux...
Déconstruire le mythe...
Tout d'abord les James Bond Girls, tout du moins ici une seule : Eva Green, déjà présente dans Kingdom of Heaven (2005) de Ridley Scott, impose sa classe et son immense talent dans le rôle tragique de Vesper Lynd, seul véritable amour de notre cher espion britannique.
Tenant la comparaison avec Craig/Bond, elle sera loin de l'image de greluche en bikini dont on demande d'être belle et d'avoir une scène d'amour avec l'agent secret pour suivre la tradition (car oui, il ne suffit pas de tenir un flingue et d'être une pseudo-action woman pour se démarquer, n'est-ce pas Miss Halle - bikini orange - Berry ?). Intelligente, avec de la répartie, le rôle de Vesper sied à merveille à la jeune actrice française.
Ensuite, un vilain des plus charismatiques : acteur danois jusque là méconnu du grand public, Mads Mikkelsen incarne Le Chiffre, méchant pas comme les autres dans la mesure où pour commencer, cet homme n'est qu'un pion et pas qu'un simple mégalomane voulant dominer le monde. Certes il n'en est pas moins banquier à l'affût du moindre dollar à amasser quitte à organiser des attentats lui-même, mais le distinguo ici est important car l'intelligence classique que l'on donne aux ennemis de Bond est ici justifiée : Le Chiffre sait ce qu'il fait et où il va. Il sait contre qui il se bat, et n'hésitera pas à employer la ruse pour vaincre Bond à son propre jeu. Plus qu'un méchant, il devient le héros tragique de sa propre réussite, et sa mort posera les jalons de la probable future organisation du Spectre.
Bref, Mikkelsen interprête un méchant des plus atypiques, et cela participe au renouveau de la saga de fort belle manière, d'autant que la présence de l'acteur perceptible et importante, surtout durant les parties de poker où les dialogues sont peu nombreux.
Sauf qu'ici, pas de super satellite envoyant des rayons laser de l'espace, pas de voiture high tech capable de devenir invisible, pas de téléphone capable de vous piloter comme si vous étiez Alain Prost votre BMW, rien de tout cela... Juste un GPS et un kit de secours. Et honnêtement, ce n'est pas plus mal !
Les producteurs ont semble-t'il compris les reproches que l'on faisait à Meurs un autre jour et nous ont écouté. En mettant la pédale douce sur les gadgets improbables, Casino Royale gagne en crédibilité tout autant que la saga gagne en maturité. Cette dernière prenait une tournure des plus déplaisantes en lorgnant du côté de la science fiction, et ce n'est clairement pas ce que nous attendons de Bond.
À ce titre, outre le plaisir de retrouver certains codes, il était tout autant nécessaire d'en gommer quelques uns pour humaniser et encrer James Bond dans notre siècle, chose que Casino Royale eut la brillante idée de commencer...
... Pour mieux le reconstruire !
En effet, Daniel Craig incarne dans Casino Royale un James Bond froid, irracible, et même violent. Mieux encore, James Bond a un défaut : il n'aime pas perdre. Que cela soit en courant après un fabriquant de bombes (Sebastien Foucan) ou aux cartes, Bond ici est mauvais perdant, grogne, râle. Il est humain en somme.
Au delà de cette humanisation, Craig dépoussière le mythe en le rendant vulnérable. D'abord physiquement, et ensuite sentimentalement.
Jamais je n'avais vu dans un opus un Bond aussi malmené et blessé. L'introduction en noir et blanc (choix judicieux s'il en est) nous dévoile déjà un James Bond brutal et marqué, mais cela se confirme par la suite : lorsqu'il se met à courir après Mollaka, ce dernier esquivant les obstacles dressés sur son chemin grâce à une agilité presque féline, Bond lui trébuche, passe à travers les murs, se blesse, hésite. Campbell nous rappelle ici que Bond n'est pas un super-héros doté de super-pouvoirs, et qu'il a des limites.
James n'en sera pas pour autant dénué de son célèbre sens de l'humour, la scène où il se fait torturer permettant de montrer un Bond qui, même au bord de la rupture, parvient à lâcher tout en riant un : "le monde saura que vous serez mort en me grattant les couilles !". Culte !
D'ailleurs, nouvelle entaille aux codes de la saga, Casino Royale ne se suffit pas à lui-même et pour la première fois, un opus aura une suite directe. Peut-être est-ce là un des effets post-Jason Bourne, la trilogie ayant démontré que l'on pouvait raconter une histoire passionnante même quand il s'agissait d'un film d'espionnage mâtinée d'action brute et contemporaine, mais voilà une excellente nouvelle qui permettra à la franchise d'explorer réellement de multiples facettes du personnage, en ayant un suivi chronologique (et surtout logique) de lui.
La mise en scène prend également un coup de fouet, et l'on sent que Martin Campbell commence à avoir de la bouteille et un sacré don pour diriger ses acteurs. Plus nerveux, plus maîtrisée, la réalisation de Casino Royale n'en est pas pour autant un vulgaire copier/coller de la sauce Paul Greengrass, elle a la qualité de ne pas prendre en otage le film et de se faire oublier tout en étant exemplaire. Un talent au service du script, et non l'inverse. C'est la grande différence que l'on peut faire entre les deux opus réalisés par le néo-zélandais, qui démontre donc qu'il est un réalisateur sous-estimé et sur qui l'on devrait davantage compter.
Pour conclure
Tout d'abord, la V.F. que je vous conseille vivement d'éviter, surtout si vous ne voulez pas gâcher le plaisir de découvrir ce Casino Royale. En effet, autant la voix doublant Daniel Craig, Judi Dench ou Jeffrey Wright (Felix Leiter) assurent, autant celle doublant Mads Mikkelsen est une horreur, et l'on perd beaucoup par rapport à l'accent danois et aux intonations de l'acteur dans la V.O. Je ne saurais trop vous conseiller donc de découvrir Casino Royale dans la langue de Shakespeare ! Évidemment, je ne mentionne pas le doublage d'Eva Green, puisque c'est elle-même qui l'assure.
Ensuite, je voudrais mentionner le fait que la B.O. de ce James Bond, intitulée You know my name, est interprétée par Chris Cornell, chanteur du groupe Audioslave mais surtout ex-chanteur de Soundgarden, l'un des quatre plus importants groupes du mouvement musical grunge, au côté de Nirvana, Pearl Jam, et Alice in Chains. Autant dire qu'elle dépote, et pas qu'un peu. À l'image du long métrage, en somme !
Espérons que si Casino Royale montre le chemin, Quantum of Solace (22ème et prochain opus) enfonce définitivement la porte et confirme qu'il faudra dès lors à nouveau compter sur l'espion britannique dans notre clivage cinématographique.