There Will Be Blood  

Posted by Astraal in


De Paul Thomas Anderson
Drame américain (2008 France, 2007 USA)
durée : 2h38

avec Daniel Day-Lewis, Paul Dano, Dillon Freasier, Ciarán Hinds

There Will Be Blood nous plonge pendant près de 2h30 dans l’atmosphère inquiétante et austère d’un western crépusculaire qui se déroule dans une plage temporelle de 25 ans (le film commence en 1902 et se termine en 1927, la majeure partie se déroulant en 1911).
La mise à mort de l’Ouest mythique tel que représenté dans l’idéologie du western classique se fait par l’arrivée du pétrole qui modifie le paysage du lieu dans lequel il est exploité par l’installation de puits de forage et des innovations techniques l’accompagnant comme les pipelines.
Il est fascinant de voir évoluer la ville qu’achète Daniel Plainview (Daniel Day-Lewis), passant de la bourgade perdue, arriérée mais évoluant dans un contexte naturel à la petite ville pétrolière pervertie esthétiquement par le modernisme à l’image des villes pionnières lors de la ruée vers l’or.

Passage du XIXe siècle au XXe siècle ; crépuscule de l’Ouest américain vers une aurore capitaliste ; perversion comme évolution : ceci se traduit notamment au début du film par cette amorce de 15 minutes sans dialogues. Cette scène d’anthologie, soutenue par la B.O de Johnny Greenwood (guitariste du groupe Radiohead), produisant une emphase terrifiante, illustre parfaitement cette perversion, cette mise à mort par le pétrole et son modernisme : des hommes creusent, forent, se couvrent de pétrole et de poussière et la musique décalée illustre un crime abominable.
Cette musique à la fois stridente et hypnotisante rappelle à bien des égards celle de 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick) lors de la scène d’ouverture d’une quinzaine de minutes sans dialogues, comme ici, où les hommes préhistoriques de retrouvent face au fameux monolithe noir dont l’ombre va permettre à l’un d’entre eux de trouver un os. Os qui symbolise l’outil. Outil qui permettra à l’homme de vaincre son ennemi pourtant plus fort physiquement. Os-outil se transformant en vaisseau spatial et faisant figure symbolique de l’évolution technique de l’humanité. Os ici remplacé par l’or noir.


Cette évolution de noir vêtue nous mène donc du crépuscule d’une époque à l’aube économique d’une autre : l’aube du capitalisme du XXe siècle.
Transporté en 1911, le film nous dépeint le tableau d’une bataille idéologique générant tous les excès : la religion (catholique) poussée au fanatisme risible du prêcheur Eli Sunday (Paul Dano) contre le matérialisme poussé à la folie et incarné par le pétrolier Daniel Plainview (Daniel-Day Lewis), cette bataille figurant comme une allégorie de l’Amérique contemporaine.
Ce combat entre Eli et Plainview est articulé par la vengeance et la dualité :
• revanche de Daniel Plainview en réponse à l’arrogance du jeune Eli qui va jusqu’à l’humiliation d’être roué de coups dans une mare de pétrole.
• Vengeance publique du prêtre lorsque Plainview doit absoudre ses pêchés dans l’église de la troisième révélation pour obtenir le droit de faire passer un pipeline sur le terrain du vieux Brandy.
• Vengeance finale et sanglante de Daniel Plainview sur Eli ou l’on voit ce dernier renier sa propre spiritualité et raison d’être : l’argent est la seule vraie religion à laquelle tout le monde croit. Voila la leçon que donne Plainview au jeune prêtre et qui achève de le plonger dans la folie.
• Dualité de Paul Dano qui incarne Eli et son frère jumeau Paul (il faut d’ailleurs noter que Paul Dano ne devait incarner au départ que le jeune Paul. Il incarne finalement Eli et Paul, Anderson remaniant et enrichissant du coup le scénario pour la cause).
• Dualité de Daniel Plainview entre l’homme du début du film qui inspire confiance et l’homme de la fin dévoré par la folie et la démesure.


A ce titre, la trajectoire du personnage de Daniel Plainview s’inscrit dans une notion d’Hybris.
Cette démesure digne de la tragédie grecque est nourrie par sa soif vaniteuse et son orgueil qui ne cessent de croître tout au long du film.
L’image du self-made man fait ici figure de déshumanisation progressive.
Le personnage nous apparait d’abord comme un foreur courageux et persévérant, un homme généreux qui adopte l’enfant de son collègue abattu par les démons du pétrole, un businessman ambitieux mais évoluant dans une dimension familiale du capitalisme et un orateur convaincant aidé par un accent bourru mais chaleureux.
Daniel Day-Lewis s’est inspiré de John Huston pour cet accent suivant la volonté d’Anderson. Ce film fait, en dehors de ceci, écho à Huston notamment par son sujet de "ruée vers le pétrole" proche de la "ruée vers l’or" illustrée dans The treasure of the Sierra Madre, œuvre adulée par Anderson.
Couverture ou vraie nature ? En tout cas celle-ci glisse lentement tout au long du film pour nous dévoiler un personnage rendu de plus en plus fou par sa quête pétrolière et trahissant ainsi la confiance que le spectateur avait pu placer en Daniel Plainview, protecteur de la fille d’Abel Sunday, image du « bon businessman »…

Dans sa trajectoire d’Hybris, Plainview se renferme sur lui même de manière croissante, s’éloigne du monde réel et des gens qu’il dit haïr de plus en plus à son « frère » qu’il rencontre au milieu du film.
Il devient progressivement étranger aux autres.
Le fait que son fils devienne sourd après l’explosion du puits de forage peut par exemple faire ici figure de métaphore à ce qui arrive à Daniel Plainview tout au long du film et qui a de plus en plus de mal à communiquer avec les autres humains.
La démesure grandissante de la vanité du personnage fait qu’il n’acceptera plus d’égal.

Cette trajectoire fait écho au personnage d’Orson Welles dans Citizen Kane dans lequel le personnage qui rencontre le succès sans arrêt finit, à cause de la démesure de son ambition, seul dans son manoir, Xanadu.
Si Daniel Plainview finit également seul dans son Xanadu personnel, une autre image semble faire également référence au cinéma de Welles, autre idole d’Anderson, lorsque l’on voit, après l’explosion du puits de forage, le visage de Plainview teinté de pétrole et de boue disparaître progressivement dans l’obscurité à la manière d’Othello à la fin de l’œuvre éponyme de Welles.

Charles Foster Kane dans Citizen Kane, une autre figure cinématographique de l'Hybris.


Dans cette inéluctable descente aux enfers, deux personnes vont être les chaines qui relient Plainview au monde réel : son frère Henry avant qu’il ne découvre la supercherie et le lui fasse payer et bien sûr son fils adoptif.
La relation entre H.W Plainview et son père Daniel est par ailleurs complexe.
Difficile de savoir à laquelle des images du fils Daniel tient le plus : l’angelot associé et utile qui le rend riche par sa simple présence ou le fils aimé ?
Malgré le final et la séparation des deux personnages, le renvoi du fils par son père, il semble que le "Rosebud" de Daniel Plainview soit ce fils qu’il ait sans doute plus aimé encore que son obsession capitaliste pétrolière comme le suggère son comportement avec lui tout au long du film excepté la fin notamment le comportement protecteur qu’il arbore à l’égard de la jeune Mary Sunday, futur femme de H.W, voyant que ce dernier se lie d’amitié et au delà avec elle.
Le flashback de fin où l’on voit le père et le fils jouer ensemble, apparaissant après le renvoi du fils à la fin du film, tend à confirmer que le père bienveillant et aimant sommeille au fond de Daniel Plainview comme le petit garçon jouant avec son traineau sommeille au plus profond de Charles Foster Kane.




En bref : Paul Thomas Anderson signe ici le film le plus abouti de sa carrière, sa Liste de Schindler, son Taxi Driver, son Citizen Kane comme le décrivait un article avisé d'un journaliste.
Avisé car la volonté stylistique d'Anderson d'établir son chef d'oeuvre est palpable : Grands angles, panoramiques sublimes, portraits de personnages exhaltés par un grand jeu de contraste entre noir et couleurs ternes font de chaques plans un tableau magnifique accompagné par une musique hypnotizante, terrifiante et grandiose.
La performance hallucinante de Daniel Day-Lewis transcende le tout.
Un des films incontournables de cette année.

Rang : A

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13 commentaires

Anonyme  

Un article que très poussé cher Astraal.

Tu sais que nous nous rejoignons sur beaucoup de points, puisque nous en avons parlé ensemble, même succinctement.

J'ai hate de lire tes prochains articles, et te souhaite une longue route sur ce beau blog, qui vient s'ajouter à ma liste de favoris :)

1 décembre 2008 à 04:04
Anonyme  

Oups, me suis pas identifié sur le commentaire précédent.

Tété

1 décembre 2008 à 04:08
Anonyme  

Bonjour Astraal,

Même si je ne partage pas ton enthousiasme envers There will be Blood, je tiens à saluer la performance rédactionnelle et analytique de cet article fouillé, dense, cultivé.
Je reviendrai te lire avec plaisir!

1 décembre 2008 à 16:52

Merci bien :D

1 décembre 2008 à 23:07

Effectivement un bien bel article, bien travaillé. On sent comme avec Azariel la passion, et c'est tant mieux.

Par contre y'a rien à faire, je n'arrive pas à me motiver pour voir ce film (et pourtant je l'ai en DVD). C'est long 2h30 surtout avec 15min sans dialogue.

C'est le genre de film à la Elephant, adulé par la critique mais que je risque de trouver profondément chiant.

2 décembre 2008 à 14:10

@ Tété : J'en profite pour te souhaiter la bienvenue sur CinéBlog.

Étant donné la nature de ton commentaire, j'en ai conclu que tu étais un ami IRL d'Astraal, ce qu'il m'a confirmé. Les amis de mes amis sont euh... et bien ils sont doublement bienvenues ;-)

Merci au passage pour le "beau blog", cela dit il ne ressemblait pas à cela à ses débuts, il a fallu que je me coltine une après-midi de code HTML, ce fut épique :p
Je vais laisser ce template un temps, il me plait, il me correspond, et il a l'avantage d'être très "basique", très simple d'accès.

@ Sylvaine Pascual : J'admets ne pas apprécier autant TWBB qu'Astraal ne l'apprécie. Néanmoins sa critique est très bien construite, dense, et ses références sont justes et bien exploitées.

Une critique très efficace qui je l'espère t'aura conquise.

@ Kameyoko : 2H30, effectivement, pour un film qui ne bouge pas dans tous les sens, cela peut être emmerdant.
C'est emmerdant dans L'assassinat je Jesse James par le lâche Robert Ford et je conçois très clairement que cela soit emmerdant dans There Will Be Blood.
Je passe outre ta remarque sur Elephant que j'ai trouvé formidable, néanmoins je tiens à préciser que parfois, 2H30 c'est bien trop court, même pour un film un peu plus "mou du genou" que d'autres ! Deux exemples de films qui me paraissent trop courts malgré leur longue durée : Docteur Jivago, et Rencontre avec Joe Black. Deux films qui auraient pu durer deux heures de plus, je resterais scotché devant mon écran.

Je pense que c'est pour ce genre de cinéma une question d'immersion et de savoir si cela te touche plus qu'une question de durée.
Heat (my favorite one) dure 2H30, il est parfait : ni trop long, ni trop court. Gone with the Wind, 4H. Le Bon, la brute et le truand 2H30. Lord of the Rings, 3H (voir plus si l'on regarde les versions longues, que je préfère très nettement). Babel, 2H15. Que de grands films.

Bref, tout ceci pour te dire que je ne me focalise jamais sur la durée d'un film car on peut tout autant s'emmerder devant un film d'1H30 si le sujet ne nous passionne pas.

Je terminerai donc en citant Georges Brassens qui disait en 1961 : "Le temps ne fait rien à l'affaire".

2 décembre 2008 à 15:20

Héhé merci Az pour ce petit commentaire sur la durée du film :D (à quand le zoom sur ? :D).

@Kameyoko

Je te rejoins sur Elephant.
Ce n'est pas un film que j'ai adoré, pas détesté non plus, mais je me suis clairement ennuyé devant.

There Will Be Blood ne s'inscrit pas du tout dans le meme genre qu'Elephant.
Il ne sa passe jamais réellement rien dans Twbb à l'inverse d'un film comme l'assassinat (précité par Az).

Ce que je te conseille si tu veut gouter le style du film : regarde ces 15 premieres minutes.

Soit tu va complètement accrocher, être hypnotisé par l'alliance que forme musique et image et dans ce cas la, autant te le dire tout de suite, tu peut regarder le film illico !

Soit tu n'accroches pas parce que tu supportes mal la lenteur, tu vois mal le symbolisme de la chose, tu n'y es pas très sensible, et par dessus tout tu n'es pas du tout happé par la scène.
Dans ce cas la je te conseillerais d'attendre le moment, de te motiver un jour comme dès fois il m'arrive de me dire "aller je me motive je vais me forcer à regarder ce film même si il a l'air chiant" et tu en seras probablement agréablement surprise, ou même dans l'optique ou tu te serais emmerdée comme un rat mort il est clair que ce film expose tellement de choses que tu ne pourras pas n'y en avoir rien retiré.

Voila ce que je peut en dire :)

Au plaisir de te répondre en tout cas une nouvelle fois et bonne lecture sinon :=)

3 décembre 2008 à 04:16
Anonyme  

Faut absolument que je vois ce film!!!

3 décembre 2008 à 18:47

Uhuh Aleks, au moins, ça a le mérite d'être clair !

Faudra que t'arrêtes de jouer à des jeux DS pourraves et que tu ailles voir effectivement davantage de bons films !
(je sais, c'est vil, c'est bas, c'est gratuit... mais tellement moi :D)

3 décembre 2008 à 20:43

Azariel m'a conquis quand il dit que Heat est son 'favorite one'.
Bravo à vous deux pour le blog, de beaux articles bien écrits... ça fait toujours plaisir !

7 décembre 2008 à 12:11

Tout d'abord bienvenue Sacha sur CinéBlog ! Heureux d'apprendre qu'il y en ait qui ont bon goût ! (à savoir les miens :p)

En revanche j'ai dit sur deux blogs différents le même jour qu'Heat était mon film préféré. Duquel proviens-tu ?
Pour préciser un peu plus sur la question, non seulement Heat est mon film préféré, tant d'un point de vue esthétique, de mise en scène et de goût personnel, mais c'est aussi mon film de chevet : je le regarde en moyenne une fois par mois depuis 1999 que j'ai le DVD et je ne m'en lasse pas. Je te laisse compter toi-même le nombre de fois en moyenne que j'ai pu le voir, sachant que tu peux ajouter au total 9 séances de cinéma (mon record, je me suis arrêté à 8 pour The Dark Knight) tant ce film m'a fasciné et me fascine encore aujourd'hui.

Quand on vous disait que le cinéma rend cinglé...

Merci en tout cas pour tes compliments (n'en fais pas trop à Astraal, il débute et il va vite prendre la grosse tête, étant son Maître Jedi, je dois bien former mon padawan pour éviter qu'il passe du côté obscur de la Force) et surtout agréables lectures en ces lieux de débauche et de plaisir (cinématographiques, j'entends ^^)

8 décembre 2008 à 12:54

J'ai déja la grosse tête Azariel !
T'es nul ! :D
Blague à part, Sacha est mon meilleur ami donc il s'est logiquement rendu sur ce site par curiosité lorsque je lui ai dis que je m'étais mis à écrire sur le cinéma.

C'est moi la star ! na ! vieux paté en croute :D

8 décembre 2008 à 20:58

Bon, écoute, franchement, quand on place au dessus de tous et tout Steven machinchose Spielberg, entre nous, y'a pas de quoi ramener sa fraise !

Espèce de critique à la mords-moi-le-noeud ! :D

8 décembre 2008 à 22:02

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