Antichrist  

Posted by Azariel in

Et si Antichrist, dernier né du réalisateur danois Lars von Trier, était finalement, esthétiquement et formellement, le film le plus ambitieux qu'il ait jamais fait ? Bien sûr, Antichrist se veut surtout et avant tout choquant, dépassant les frontières de la pudeur horrifique jusqu'à la surenchère sinon l'écoeurement, avec son aliénation misogyne pleine de violence et de superficialité. Son érotisme forcené tend trop rarement vers l'épure pour comprendre et éclairer la pensée humaine sur les différentes strates de la pulsion, tant émotionnelle que charnelle.

Et pourtant, il y a derrière l'esprit dérangé d'un cinéaste qui se perd dans cette semie-histoire de couple aux portes des enfers et tentant d'y trouver le salut après la perte de leur enfant un oeil prodigieux, un goût pour la destruction du soi magnifiquement mise en abîme à travers trois chapitres analytiques au sein desquels la psychose des sens est glorifiée au profit d'une atmosphère aussi pesante que les images les plus béotiennes jalonnant les quelques 1H44 du film. Le prologue est à ce titre époustouflant de grâce et de splendeur, précurseur d'une série d'images dont la magnificence laisse pantois au point d'oublier que c'est l'épouvantable qui quelque part, dans l'ombre d'un plan, rôde et pestifère, dans une nature toujours plus mise à l'épreuve par le regard de von Trier. La verdure n'a aucune morale dans le monde de cet homme, sinon d'être la conjugaison des instincts les plus fourbes et de la conscience la moins noble. Le dédale de ses contre-courbes pousse à la dysharmonie mentale, jusqu'aux abords d'une frontière que l'on évite de franchir de peur de faire face à son propre reflet.

Lars von Trier, lui, ne recule pas. Filmant les corps et les coeurs de ses deux acteurs habités, Charlotte Gainsbourg somptueuse de perversité et de détresse, Willem Dafoe bouleversant de justesse et d'opacité, il nous offre une oeuvre cinématographique certes licencieuse et indécente, mais également une expérience loin des clivages de la bienséance quand il y a besoin de retrousser les manches pour attraper le diable par les cornes. C'est parfois à ce prix que l'on peut donner ainsi un visage à nos démons.

Rang : B

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This entry was posted on 07 juin 2009 at dimanche, juin 07, 2009 and is filed under . You can follow any responses to this entry through the comments feed .

2 commentaires

Complètement d'accord avec cette critique sauf que je ne pense pas que Von Trier ait voulu un film choquant. Je pense qu'il n'a pas vraiment réfléchi à la portée de son film sur le spectateur...
Mais dans tous les cas, c'est une oeuvre d'une puissance physique et émotionnelle comme j'en ai rarement vu (peut-être que le seul à m'avoir à ce point bouleversé c'est Salo de Pasolini...)

J'en profite pour saluer le boulot sur ce blog qui est vraiment excellent!!!

11 juin 2009 à 13:28

@ Niko06 : Tout d'abord bienvenue sur CinéBlog, il me semble que c'est là ton premier commentaire.

J'ai lu ta critique sur le dernier bijou de Lars van Trier, j'ai constaté que tu avais adoré son film, lui octroyant la note maximale. Je ne partage pas un tel enthousiasme, c'est surtout pour sa beauté plastique et formelle que j'ai trouvé Antichrist mémorable, mais je regrette qu'il n'ait su tempérer son regard sur la puissance (émotionnelle, horrifique, sexuelle) pour réussir à rendre son récit plus vibrant que choquant.

Les quelques défauts que je soulève au début de ma critique font que ce film est loin d'être parfait, et mon "B" a valeur d'un 6/10 selon ta notation (mais ça tu le sais, puisque nous sommes tout deux sur moviepilot). Bref je comprends la large majorité de critiques et du public n'appréciant pas ce film, car il faut voir au-delà des images indécentes, or, je suis de ceux qui pensent que ce n'est pas au spectateur lambda de faire cet effort, mais au réalisateur de parvenir à guider vers une brèche, nous invitant à la prose méditative et introspective. Ce que von Trier n'a pas réussi à faire (ce que tu dis en affirmant qu'il n'a pas réfléchi à la portée de son film).

En tout cas je pense que nos deux critiques s'accordent à relater "l'expérience" qu'il y a à vivre plutôt que "le film" qu'il y a à voir, et c'est déjà ce qui fait d'Antichrist un film indispensable à voir.

12 juin 2009 à 12:14

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