Jusqu'en enfer  

Posted by Azariel in

Vingt-deux ans qu'on attendait ça. Vingt-deux ans que l'on espérait voir Sam Raimi renouer un jour avec ses premiers amours. Il y a deux décennies, le cinéaste américain alors spécialisé dans la série B horrifique donnait une suite à son mythique Evil Dead, et puis plus rien : Evil Dead III : l'armée des ténèbres concluait en 1992 la trilogie avec panache mais humour, Darkman (1990) et Intuitions (2000) faisaient de brèves incursions dans le cinéma d'épouvante sans pour autant s'immerger totalement dans le glauque et le funeste.

Il faut dire que le film d'horreur (occidental) au sens plein du terme est mis à mal depuis le milieu des années 90. George A. Romero, prophète parmi les prophètes, perdit la foi après Le Jour des morts-vivants en 1985, son cinéma tendant de plus en plus vers le fantastique et de moins en moins vers le macabre. Une première tentative de retour avec Land of the dead en 2005 fut amorcée, sans succès. Le récent et réussi Diary of the dead était déjà plus prometteur, même si l'on pouvait reprocher au discours sous-jacent son manque de verve, fut un temps bien plus acerbe, encore trop éducolorée dans sa poésie funèbre comme dans son âpreté. Quant à l'autre grand maître du genre, John Carpenter, auteur de l'archi-culte The Thing (1982), on ne l'a plus revu sur grand écran depuis 2001 et son Ghosts of Mars. Mais si le genre a été mis à rude épreuve ces dernières années, ce n'est pas tant l'absence des ces illustres cinéastes qui lui ont donné, avec quelques autres grands noms, ses lettres de noblesse, mais l'arrivée en 1996 d'un film qui allait dénaturer et dépouiller le film d'horreur de toute sa substance première : Scream. Estampillé slasher movie, le long métrage de Wes Craven a eu un impact autrement plus considérable sur la manière dont les cinéastes ont abordé le film d'horreur par la suite, avec cet esprit teenage et second degré qui encore aujourd'hui déforme cette catégorie si particulière de l'art cinématographique. L'effroi et la terreur s'évaporent derrière un érotisme omniprésent (Vendredi 13, Hostel) ou face aux éclats de rire (Freddy contre Jason, Black Sheep), le gore est utilisé de manière mécanique et parfois systématique (quel autre intérêt à trouver à la saga Saw, sinon cette succession de mises à mort infiniment réductrice et tellement peu angoissante que l'on pourrait simplifier la franchise à de simples effusions de sang sans aucun autre moteur que celui de l'image-choc, ne cherchant jamais à provoquer la gêne au niveau sensoriel).


Il fallait donc le retour d'un géant, d'un homme qui n'avait nullement besoin de l'influence du cinéma d'horreur asiatique ni de suivre la tendance du remake ou de s'appuyer sur la surenchère pour empoussiérer le genre et lui faire retrouver son éclat décrépit d'antan. Jusqu'en enfer apparaissait comme le messie capable de faire sentir le film d'horreur à nouveau le souffre et le moins que l'on puisse dire est que cette descente aux enfers est providentielle.

Conçu comme une série B d'horreur traditionnelle, le dernier né de Sam Raimi parvient à s'emparer des clichés du genre sans jamais tomber dans leurs pièges ni la facilité. Il les condense en une histoire unique où sorcière, malédiction et médium se croisent avec un respect évident des règles et des attentes du cinéphile averti mais en réussissant toutefois à les dépasser pour proposer quelque chose d'à la fois différent et familier. La question n'est plus alors de savoir "quand" la peur nous prendra par la gorge car celle-ci rôde à travers chaque séquence, au sein de chaque plan. Raimi entame une partie de cache-cache avec son spectateur et gagne avec une régularité constante qui frise l'indécence. Sa griffe, reconnaissable entre toutes, entaille les chairs et les esprits avec plus de mordant que jamais, si bien que malgré son budget limité (on parle de vingt millions de dollars) le film est saisissant de viscéralité.


On sent que la franchise Spider-Man a permis à Raimi d'explorer de nouveaux clivages cinématographiques car sa mise en scène s'en trouve nourrie et enrichie au point de tutoyer par moment le divin. Avec une virtuosité époustoufflante, le réalisateur suggère la terreur à travers les angles de la caméra et préfère s'appuyer sur une utilisation maîtrisée de la lumière plutôt que sur la représentation physique du Mal. Mais ce qui impressionne le plus, c'est l'habileté et le savoir-faire de Raimi à faire plonger émotionnellement son spectateur à travers la bande son. On avait plus entendu des effets sonores aussi travaillés et immersifs depuis William Friedkin pour nous glacer le sang. Sans doute l'un des points les plus réussis de l'oeuvre.

Ce besoin d'impliquer affectivement le public se ressent d'ailleurs dès les premières minutes du long métrage, Raimi prenant le temps de présenter le personnage de Christine Brown, de développer une vraie intrigue là où il avait été directement droit au but dans Evil Dead. La notion de transfert selon Freud puis Lacan est d'autant plus probante que notre recul sur les personnages est minimal. Difficile de ne pas se reconnaître dans le personnage d'Alison Lohman, révélée dans Les Associés de Ridley Scott, pour ne pas se sentir poursuivi par le même démon qu'elle, Raimi réussissant avec ce conte moral autour d'une malédiction surnaturelle à culpabiliser autant qu'à faire peur. Plus difficile encore après avoir vécu "l'expérience Jusqu'en enfer" d'aller contrarier une vieille dame !


Et pourtant, Jusqu'en enfer est aussi un film totalement jouissif. Les quelques bouffées ne compassion ne ternissent pas l'acrimonie de Mme Ganush et in extenso la rugosité du film dans tout ce qu'il a de plus violent et de plus noir, avec cette touche d'humour si particulière chez Raimi qui tient presque du sadisme. Les scènes cultes s'emboîtent le pas les unes après les autres (le duel des deux femmes dans la voiture en tête), et qu'importe si la fin est plus que convenue (les ficelles s'épaississant hélas dans les vingt dernières minutes) ou que le personnage du petit ami interprété par Justin Long soit à ce point relégué au second plan : Jusqu'en enfer arrive à point nommé pour rappeler à tous que c'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleures coctions sataniques.


En bref : Des faiblesses dans le scénario, des effets spéciaux inégaux, des personnages sous-traités. C'est tout ce que l'on pourra reprocher à Jusqu'en enfer, véritable baffe en matière de mise en scène et d'effroi, ode funèbre à un genre ravagé et pillé depuis une quinzaine d'années. Le critique de cinéma Mathieu Carratier a écrit à propos de Sam Raimi pour le magazine Première : "Avis à tous les petits malins (au hasard Saw 1 à 12) qui avaient profité de son absence pour saccager la maison : papa est de retour". En effet, et il était temps.

Rang : B

Plus d'infos sur ce film

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2 commentaires

Je suis partagée entre l'envie d'aller le voir et celle de m'abstenir. J'ai envie d'aller voir car il a l'air vraiment bien mais en même temps, j'ai déjà peur rien qu'en regardant l'extrait :p

8 juin 2009 à 11:11

@ Aleks : Oh oui, effectivement, c'est un film qui fiche légèrement la frousse pour qui n'est pas un habitué du genre ou qui est justement du genre à sauter au plafond au moindre "bouh !".

Mais sincèrement, je ne peux que te recommander d'aller le voir, ce film est énorme. Ma note prend en considération ses défauts, mais de coeur, je suis mets un A bien rougeoyant car c'est un film je pense qui fera date. Alors ne le loupe surtout pas !

8 juin 2009 à 13:53

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