Avez-vous déjà tenté de marcher sur des oeufs en essayant de n'en casser aucun ? Jamais ? Y'en a que ça amuse pourtant.
J.J. Abrams par exemple : il relève le pari fou de relancer une saga vieille de 43 ans (si l'on part du premier épisode d'une série créée par
Gene Roddenberry) avec la ferme intention de séduire les réfractaires à la franchise sans heurter les puristes les plus impatients de retrouver (ou découvrir, pour les plus jeunes) les aventures de James T. Kirk et de l'équipage de l'U.S.S. Enterprise. Impossible, direz-vous ? Probable, sauf que "impossible" n'est pas
J.J..
Le créateur des séries à succès
Felicity,
Alias et
Lost, les disparus n'en est pas à sa première tentative lorsqu'il s'agit de reprendre le flambeau puisqu'en 2006 il réalisa
Mission : Impossible III, donnant suite aux films de
Brian De Palma et
John Woo. Le meilleur de la trilogie diront certains. Et comme si le curriculum vitae n'était pas déjà suffisamment éloquent,
Abrams est aussi l'heureux producteur de la grande réussite que fut
Cloverfield, réalisé parait-il par un certain
Matt Reeves. Pour un peu qu'on lui en retire la paternité du film tant ce dernier transpire la patte d'
Abrams, il n'y a qu'un pas. Histoire de mettre les points sur chaque "i", rappelons qu'il est également scénariste (à l'origine du script de
Forever young de
Steve Miner) et compositeur ! (de la musique de
Nightbeast, une série Z de science-fiction, aux thèmes de
Felicity,
Lost, les disparus, et
Fringe) En somme, il est à la charge d'un génie de l'entertainment et d'un passionné de fantastique de faire revivre le mythe
Star Trek. Bonne pioche ?
Sisi, je vous assure : c'est bien Star Trek, pas Star Wars ! Ils sont tous là : Kirk, Spock, Scotty, McCoy, Sulu, et même Uhura, un rôle qui marqua l'histoire de la télévision américaine pour être l'un des premiers de cette importance qui soit tenu par une Afro-Américaine. Il était important de retrouver tous les personnages qui ont fait la renommée de la saga, même si les rôles de Kirk tenu par William Shatner et Spock interprété par Leonard Nimoy (présent dans ce Star Trek) ont toujours toujours eu une importance plus accrue. Dans une note d'intention, J.J. Abrams demande d'ailleurs à son équipe : "Aussi fascinants soient-ils, les vaisseaux ne seront jamais aussi importants que leurs équipages. Si l'action et l'aventure sont palpitants, c'est parce que vous vous prenez d'affection pour les personnages." Il lui fallait donc un casting de qualité, ce qui est le cas et assurément l'un des points forts du long métrage : de Zachary Quinto (le vil Sylar de la série Heroes) en Spock à Simon Pegg en Scotty, de Karl Urban en McCoy à Eric Bana en Nero (sisi, c'est bien Bana !), chaque acteur est dans le coup et aucun ne s'impose plus qu'un autre. Une bonne chose.
En revanche, c'est avoir une vision quelque peu biaisée de l'univers Star Trek et plus généralement du space opera que d'attacher autant d'importance aux personnages au point de sacrifier les batailles de vaisseaux spatiaux. Alors certes, l'U.S.S. Enterprise est bien là, de même que le scénario ne se prête pas vraiment à ce qu'une bataille haletante ait lieu. Mais ce rapport de force déséquilibré entre le vaisseau des romuliens et ceux de la Fédération empêche d'injecter de l'intérêt et du suspense aux joutes spatiales. Pire encore, l'on se retrouve avec le vaisseau phare de la flotte humaine totalement démythifié, pourtant le plus sophistiqué de leur histoire. Star Wars avait su conjuguer et marier à merveille les deux, ce n'est pas le cas de Star Trek version J.J. Abrams.
Non, ce n'est pas l'U.S.S. Enterprise : vous ne savez pas lire ?! Que nous reste-t-il dans ce cas ? L'exploration de planètes inconnues ? Pas vraiment. Une rixe dans un bar, quelques courses-poursuites, une séquence de parachutage palpitante, une baston à l'épée, au pistolaser, bref, une majorité des ingrédients nécessaires pour faire d'un space opera une belle réussite. Un peu cliché quand même. Passons. D'autant que le script s'attache avant tout à développer l'amitié naissante et indéfectible entre Kirk et Spock, de manière totalement inédite. Il n'en demeure pas moins qu'il plane une impression constante de "premier d'une nouvelle série", Star Trek ne ressemblant scénaristiquement qu'à une gigantesque bande-annonce bourrée d'effets spéciaux de ce qui va potentiellement suivre (Star Trek 2 est par ailleurs déjà annoncé). En somme un stand-alone qui ne se suffit pas à lui-même, mais qui par un ingénieux (quoiqu'un brin trop facile) erase & rewind permet l'air de rien de faire un reboot complet de l'épopée. Et l'on comprend la nécessité de la présence de Leonard Nimoy : "Nous voulions Leonard Nimoy pour établir un lien avec la série originale, mais nous savions que c'était risqué parce qu'il avait dit qu'il ne jouerait plus jamais dans un seul film Star Trek" dixit le producteur Damon Lindelof. Le reboot (très en vogue en ce moment aux Etats-Unis) n'en gagne que plus de crédit et passe ainsi comme une lettre à la Poste. Très astucieux.
Il est certain qu'Abrams réussit à respecter les codes de la saga tout en insufflant un vent de modernité, dépoussiérant le mythe sans jamais le trahir. Aucun temps mort n'est à déplorer, la conduite narrative est rythmée, le spectacle bien rôdé. Et pourtant, la superficialité de l'oeuvre, commerciale par essence, laisse dubitatif. S'il est clair que Star Trek est un solide divertissement, il n'est hélas rien de plus. Du point de vue de la mise en scène, Abrams n'a pas la virtuosité d'un Ridley Scott ni l'inventivité d'un Lucas, et bien que passionnée, la copie rendue paraît un poil arrogante. L'univers revisité aurait mérité un peu plus de considération et de profondeur, et le spectateur davantage amené à faire travailler ses neurones. C'est aussi ça, la bonne SF.
Vous en faites pas : il va y avoir des tas de mondes à explorer prochainement !
En bref : Il est indéniable que Star Trek est un solide divertissement, rythmé et ébouriffant, doublé d'une ingénieuse excuse pour faire prendre un nouveau démarrage à la saga. Pourtant, tout paraît trop facile : du scénario avec ses paradoxes temporels tirés à quatre épingles, à la mise en scène, conventionnelle et superficielle. En résulte un blockbuster comme on en voit souvent, plaisant mais convenu. On a vu des films de commande avec plus de caractère que celui-là.
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