Still Walking

Parce qu'il est un cinéaste qui sait mieux que personne raconter des personnages livrés à l'abandon, parce qu'il est un formidable peintre des tourments les envahissant en filmant ceux qui restent après la disparition, Kore-Eda s'inspire du sommeil éternel dans lequel sa mère est plongée pour nous narrer l'histoire d'une famille se réunissant chaque année un jour d'été à Yokohama afin de commémorer la mort du fils aîné. Ce dernier est décédé en tentant de sauver un jeune enfant de la noyade quinze ans plus tôt. Déjà quinze longues années que cette famille se réunit sans relâche, arpentant ensemble le long et douloureux chemin des souvenirs, poussant le vice jusqu'à inviter ce jeune garçon devenu un homme entre temps. Et pourtant, au delà des traditions d'un Japon presque evanescent qui se perd dans les limbes du temps, au delà des souffrances qui soudent les âmes entre elles et forgent la mémoire, Still Walking parle d'une famille éclatée où aigreur, colère et rancoeur se marient avec silence, culpabilité, eurythmie et amour.
Avec une délicatesse extrême, Kore-Eda tel un impressionniste opère par petites touches pour donner corps à chaque membre de cette famille. Le portrait qu'il fait de chacun est une merveille de sensibilité où chaque plan trouve une force et une intensité que l'on n'avait plus vu depuis Ozu et Naruse.

Il faut dire que rien n'est laissé au hasard dans la construction des plans, avec un travail impressionnant du directeur de la photographie Yutaka Yamazaki et de son éclairagiste Eiji Oshita sur la lumière, permettant à la forme d'épouser au fur et à mesure le fond, la journée passant, la lueur d'espoir de voir les affres familiales se dissiper s'estompant, le décor jouissant d'une personnalité singulière où zones d'ombre et pièces illuminées se mêlent jusqu'à en devenir un personnage à lui seul, avec son lot de contradictions et de dédales inextricables. En jouant avec les axes de la caméra, en l'excentrant à chaque plan passant des extérieurs vers les intérieurs et vice versa, Kore-Eda insuffle une dynamique permettant de lier intelligemment les plans entre eux tout en conservant de larges horizons visuels sans passer par les traditionnels panoramiques et travellings.

En bref : Le cubisme avait Pablo Picasso et Georges Braque, le fauvisme Henri Matisse et Maurice de Vlaminck, l'expressionnisme Wassily Kandinsky et Edvard Munch. Le Japon a Hirokazu Kore-Eda. Il suffit de poser ses yeux sur Still Walking pour sinon s'en apercevoir, s'en convaincre.
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