Suffit-il de porter à l'écran un drame social pour faire d'un film une oeuvre nécessaire ? Et, comme pour lui donner une profondeur servant à nourrir les personnages, suffit-il d'y mêler une histoire d'amour tragique sensée souligner la complexité du geste d'un homme qui tend la main vers l'autre (dans un premier temps) par intérêt ?
Parfois, oui. Dans le cas de Welcome, c'est pourtant moins le cas. Très noir, le film l'est. Avec un beau sujet qui plus est et deux acteurs magistraux. D'abord Vincent Lindon, le champion des acteurs français toutes catégories qui n'a pas son pareil pour montrer les fêlures d'un homme se noyant dans un vide existentiel. Et puis le poids plume Firat Ayverdi, qui propose ici une composition emplie de justesse et chargée d'émotions donnant tout lieu de penser qu'on pourrait avoir affaire à un futur grand.
Il incarne ce jeune réfugié kurde arrivant à Calais après trois mois de voyage éreintant et nourrissant l'espoir de traverser la Manche pour atteindre l'Angleterre. Pas seulement parce qu'il se rêve grand footballeur à Manchester United. Mais surtout parce que la jeune femme qu'il aime s'y trouve, obligée par son père de se marier avec un cousin dans l'intérêt de leur famille. C'est donc une course contre le temps que mène le jeune homme, une chevauchée épique car dangereuse puisqu'elle le mènera à se croire capable de traverser à la nage une mer épicontinentale comptant des courants parmi les plus importants du monde. C'est là que Vincent Lindon intervient, en maître-nageur brisé par la rupture avec une femme qu'il aime encore, cherchant à la reconquérir en se montrant à elle sous un meilleur jour. Il hébergera malgré nos lois le jeune homme, lui apprendra à nager, et finira par s'attacher à lui, à s'émouvoir devant sa volonté infaillible.
Ce qui rend ce film dispensable, c'est la superficialité de son essence. Les nombreuses demies-mesures empêchent le long métrage de tourner à plein, et tout aussi engagé et politique qu'il soit, Welcome se veut être un film dérangeant qui ne dérange que trop peu. La faute à une mise en scène d'intentions, à croire que le manifeste humaniste ait privé le scénario d'une substance dramaturgique inhérente à l'immersion du spectateur dans une histoire. La trame passée la première demie-heure tend à se figer, la complexité de l'âme humaine devenant peu à peu le seul leitmotiv cinématographique d'une approche quasi-documentaire sur un sujet bouleversant.
Philippe Lioret semble avoir porté son attention sur la puissance de son brûlot mais perd en cours de route les premières intentions romanesques qui, imbriquées dans la critique qu'il fait de notre système, donnait une intensité particulière à son récit. Quelques dialogues demeurent savoureux mais ils sont trop peu nombreux pour permettre à Welcome d'être le chef-d'oeuvre qu'il aurait dû être.
En bref : Un scénario qui câle après une demie-heure et une mise en scène trop portée sur la dénonciation et pas suffisamment sur la narration font de Welcome un film efficace mais bien en deçà des émotions qu'il aurait pu susciter. La démarche n'en est pas moins belle et juste, Philippe Lioret sait filmer et souligner sans surligner. Un film plaisant malgré tout.
Rang : C
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