[Critique DVD] Ariane - édition collector  

Posted by Azariel in

Titre original : Love in the Afternoon
Genre & Pays : Comédie romantique américaine
Année : 1957
Durée : 2H05
Réalisé par : Billy Wilder
Avec : Gary Cooper, Audrey Hepburn, Maurice Chevalier
Produit par : Allied Artists

Sortie France : 24/03/2009
Langues : Français et Anglais Dolby Mono 2.0
Sous-titres : Français
Format vidéo : 16/9 compatible 4/3
Format cinéma : 1:85
Support : Simple face double couche
Nombre de DVD : 1
Éditeur : Carlotta Films




LE FILM :

S'il est un cinéaste dans l'Ancien Hollywood qui ait su briller dans tous les genres, c'est bel et bien Billy Wilder. Touche-à-tout, cet immigré autrichien s'est surtout illustré dans la comédie, genre qu'il affectionne tout particulièrement. Sa rencontre avec le scénariste I.A.L. Diamond sera d'ailleurs déterminante, puisqu'Ariane marque le début d'une longue et fructueuse collaboration entre les deux hommes, Certains l'aiment chaud (1959) en tête.

Avec Ariane, Wilder réunit un trio mythique composé de Gary Cooper, au crépuscule de son éclatante carrière (l'acteur s'éteignit le 13 mai 1961, soit six mois après la disparition de Clark Gable, entraînant avec eux la fin d'une ère hollywoodienne dite "classique"), de la divine Audrey Hepburn (déjà dirigée par Wilder en 1954 dans Sabrina) et de Maurice Chevalier, le "French Lover" de tout une génération américaine.

"It's a tiny bottle of perfume and very large bananas."

Trois figures de légende pour une seule histoire, adaptée du roman de Claude Anet. Un script simple, mais diablement efficace : Maurice Chevalier incarne Claude Chavasse, un détective privé parisien spécialisé dans les affaires d'adultère. Traquant les épouses infidèles pour le compte de leurs maris, ses investigations l'amènent à enquêter sur le milliardaire Frank Flannagan, interprété par Gary Cooper, un playboy multipliant les conquêtes et déchaînant les passions. Seulement lorsqu'un jour un client cocufié par la faute du Don Juan projette de l'assassiner, la fille de Chavasse, Ariane (Audrey Hepburn), décide d'intervenir pour le sauver. Passionnée par le travail de son père, elle connait ses dossiers sur le bout des ongles malgré les précautions prises par ce dernier. Une somme d'informations qu'elle va tenter de mettre à son avantage car Frank ne lui est guère indifférent.

Dès les premiers instants, Wilder pose les bases de sa démarche : à travers un dialogue savoureux en voix-off de Maurice Chevalier et de son accent so french à faire blêmir Shakespeare (ce qui parait tout de même délicat), le cinéaste se joue des clichés du genre et propose une entrée en matière à la fois doucement ironique et délicieusement ingénieuse.

Car ce qui caractérise Wilder dans sa façon de faire est d'associer avec un équilibre déconcertant humour et intelligence, que l'on soit dans le loufoque ou la romance, ce qui n'est pas sans rappeler la manière de procéder d'Ernst Lubitsch. Ainsi, il n'est pas rare de passer du coq à l'âne en un instant, ce qui aurait pu en rebuter plus d'un si le coq en question ne portait pas les belles plumes soyeuses d'Audrey Hepburn. Solaire, elle apporte à l'écran une grâce et une harmonie qui donne une fraîcheur indéniable au film, sans pour autant se contenter d'être le joli minois auquel on l'a trop souvent réduite. Son jeu un rien emprunt de malice et de candeur donne une bouffée d'air à chaque séquence au point que son absence à l'écran devient quasi-suffocante. Sa voix et son regard véhiculent une innocence telle que sa performance dans ce long métrage justifie pleinement, plus de cinquante ans après, son statut de grande star hollywoodienne.

Et puis il y a l'âne. Mais quel âne ! Le plaisir de voir Gary Cooper tourné en bourrique par une jeune femme aussi révoltée et taquine contribue à décupler l'intérêt d'Ariane, tant l'audace dont fait preuve Wilder à jouer sur les sous-entendus à travers les rixes amoureuses est éclatante. La séquence du manteau d'hermine ornemente parfaitement ce tableau sensuel et troublant, avec ce mouvement de plan où l'on accompagne du regard le vêtement luxueux tombant aux pieds d'Ariane, de la même manière qu'on aurait pu voir sa robe tombée à terre une fois ôtée. Conjugué au fondu enchaîné concluant la scène, marquant ainsi une ellipse plus qu'équivoque, on ne peut qu'être admiratif devant tant d'adresse et de subtilité dans la mise en scène.

"In Paris people eat better, and in Paris people make love, well, perhaps not better, but certainly more often."

Cette grande part de fantaisie chez le cinéaste nous entraîne sans gêne dans le petit jeu auquel se sont livrés les deux duellistes, l'une en amazone domptée, l'autre en roublard roublardisé. Un sommet de modernité sophistiquée évitant avec sagesse l'apologie du mensonge pour mieux se concentrer sur la silhouette romantique teintée de cynisme de l'histoire d'amour entre les deux personnages. Il n'est pas question pour Wilder de jouer les moralisateurs ni d'inscrire son film dans une quelconque perspective dramatique tant l'aspect onirique est pleinement assumé.

Ariane est un émerveillement perpétuellement contigu évitant pourtant l'explicite. Malgré le thème principal du film, celui de l'idylle, et les allusions sexuelles, nombreuses, il faut rappeler que Wilder a mis en scène cette histoire dans un contexte de production hollywoodienne des années '50, encore marqué par le code de censure même si celui-ci connait déjà un déclin significatif avec la libération des moeurs. Ainsi, Wilder s'attira les foudres des instances en charge de donner l'illusion que le code Hays n'était pas encore devenu un vestige du passé. Il faut dire, il y a de quoi : il est tout de même question d'une jeune femme allant faire l'amour les après-midi, une jeune femme incarnée par une actrice de trente ans de moins que son partenaire !

"You know who I am, Mr. Flannagan, I'm the girl in the afternoon."

Wilder a donc dû faire un certain nombre de concessions qui pourtant n'entâchent en rien Ariane. Bien au contraire. L'exemple le plus évident concerne la scène de fin à la gare, dans laquelle le cinéaste dut rajouter la voix-off de Chevalier, commentant et légitimant l'union d'Ariane et de Frank, participant ainsi à cette extraordinaire levée des masques donnant un charme certain à ce happy-ending bienvenu car non-antinomique avec le ton du long métrage. L'inverse aurait été plus gênant, au final.

Et puis il y a le formidable travail du directeur artistique Alexandre Trauner. Alors certes, son Paris est un Paris "carte postale". Mais difficile de ne pas se laisser subjuguer par la romance tant les décors se prêtent à l'immersion. Un cadre idyllique venant parfaire une oeuvre grandiose qu'on ne peut se permettre d'occulter, même si elle n'est pas majeure dans la filmographique de Billy Wilder. À vous faire entrer en pleine Fascination !

"Once you've got a winning combination, why mess around with it ?"


LE PACKAGING :

Belle édition Carlotta Films en format Digipack, à la fois sobre et esthétiquement impeccable grâce à de jolies photographies sur chaque face du boîtier. On regrettera néanmoins que le carton ne soit pas plus solide, ce qui est souvent le problème avec ce genre d'étui.

Le DVD est accompagné d'un portefolio exclusif de 32 pages à la qualité indéniable : bonne colle donc solide reliure, et magnifiques photographies. Également présente une publicité des sorties Carlotta Films à venir, toujours utile pour les cinéphiles que nous sommes.

IMAGE & SON :

Cette édition collector dispose d'un nouveau master restauré. On sent un travail d'orfèvre pour permettre au film de retrouver de l'éclat après tant d'années. Grâce à une bonne compression et à une définition honnête, l'image s'en tire sans trop de mal, mis à part une légère tendance à la granulation dans les plans d'ensemble, ainsi qu'à des images légèrement poussièreuses voire altérées. Rien de bien dommageable vu leur extrême rareté.

Côté son en revanche, c'est plus discutable. Ariane étant un film en mono, ne vous attendez guère à entendre chaque coup d'archet en dolby surround lorsque Fascination sera jouée par les tsiganes. De plus, la V.F. est comme bien souvent une horreur à éviter comme la peste, même si l'on est tout de même loin de la médiocrité d'une piste audio française comme celle de The Dark Knight. Un conseil : ne regardez jamais ce film autrement qu'en V.O.


INTERACTIVITÉ :

Une fois encore, les éditions Carlotta Films brillent pour leur sobriété et leur élégance, et Ariane n'échappe pas à la règle. De jolis menus simples d'accès, clairs et lisibles, avec les merveilleuses musiques du film accompagnant notre traversée des menus du DVD.


BONUS :

De nouveaux bonus inédits, dit-on. Qu'à cela ne tienne, c'est avec grand plaisir que nous les découvrons.
Ariane, rapports de tournage (26 mns) s'avère être intéressant pour qui ne connait pas le travail des chercheurs de la Cinémathèque. Travail de restauration, scénario, entrée dans l'univers de la scripte d'antan (métier ô combien méconnu), et anecdotes sur le tournage.
Plus intéressant encore, un module s'intitulant Au fil d'Ariane (26 mns) dans lequel N.T. Binh, critique de Positif, documentariste et enseignant de cinéma, livre son analyse riche en informations du film de Wilder, de sa patte, de ses références. Une vraie mine d'or justifiant à elle-seule l'achat du DVD.
La complicité magnifique est un entretien avec le couturier Hubert de Givenchy parlant de la complicité qui l'a uni à Audrey Hepburn durant de nombreuses années. Trop court (à peine plus de 8 mns), ce bonus permet surtout de voir que derrière l'immense star, il y avait une femme fidèle à la légende l'entourant. Une grande dame.
Le dernier bonus nous montre la bande-annonce du film, quelque peu en deçà qualitativement parlant de ce qu'est vraiment le film.


Au final, une très bonne impression de l'ensemble que CinéBlog vous recommande chaudement. Un Billy Wilder mérite toujours le coup d'oeil de toute façon, surtout avec une pareille édition.

LE FILM : A
LE DVD : B

This entry was posted on 28 mars 2009 at samedi, mars 28, 2009 and is filed under . You can follow any responses to this entry through the comments feed .

8 commentaires

je ne connaissais pas du tout ce film, là j'ai vraiment envie de le voir !
merci à toi et bonne journée :)

31 mars 2009 à 11:03

@ Wizzil : Je ne connaissais pas non plus ce Wilder, c'est grâce à Carlotta Films pour la critique du DVD que j'ai pu le découvrir. C'est donc eux qu'il faut remercier !

En espérant que le film te plaise autant que l'article ait pu te donner envie de voir Ariane, merci pour ton commentaire et bonne soirée :)

31 mars 2009 à 21:29
Garance  

tiens tiens, il y a quelques mois tu n'avais encore jamais vu de Billy Wilder... très bon film pour commencer!! Si je peux me permettre de te conseiller un chef d'oeuvre intégral: regarde sans plus tarder Sunset Boulevard, si ce n'est déjà fait: sans doute un de ses plus grands films

7 avril 2009 à 00:04

@ Garance : Je me suis largement rattrapé depuis ;)

Quant à Sunset Boulevard, c'est évidemment le premier film sur lequel je me suis jeté, juste devant Certains l'aiment chaud.

Merci en tout cas pour le conseil ! Quant à toi, ouvre-toi aux quelques films qu'on a évoqué l'autre fois, le cinéma américain des années 70 - 00 contient des perles qu'il est impardonnable d'occulter !

7 avril 2009 à 18:30
Garance  

ben, c'est pas que j'en ai vu aucun non-plus, c'est juste que par rapport à la période 20-70, le pourcentage de ceux que j'ai vraiment aimé est beaucoup plus faible! Comme quoi tu vois, tout n'est pas forcément question de génération!

8 avril 2009 à 11:45

@ Garance : Effectivement, tout n'est pas question de génération mais il n'empêche qu'il y a des films générationnels.

Un exemple que j'aime à citer : lorsque je parle de Wayne's World à la fac, pas une seule personne n'a été capable de me dire de quel film je parlais. Il n'y a que Mr. J (le prof d'étude de textes théoriques) et Mr. F (le prof d'histoire et d'esthétique du cinéma) qui ont réagi à l'énonciation du titre de ce film. En revanche, si je parle de ce film à un 80tard, difficile pour lui d'être passé à côté de ce phénomène.

C'est évidemment un exemple parmi tant d'autres, et j'ai volontairement choisi de citer un film propre à ma génération. J'aurai pu aussi parler de Top Gun, et son thème "Take my breath away" qui nous a permis de vivre des slows inoubliables tandis que les jeunes gens de ton âge ont tendance à se moquer de son côté kitsch.

Tout ça pour dire qu'effectivement la génération à laquelle nous appartenons ne conditionne pas "nécessairement" (ce qui ne peut pas ne pas être, d'un point de vue philosophique) nos goûts, mais cela y contribue grandement malgré tout, car nous grandissons dans un environnement cinématographique qui marque les esprits des jeunes enfants que nous avons été (à condition de s'être intéressé au cinéma évidemment, ce qui était mon cas).

10 avril 2009 à 18:33
Garance  

Oui je suis d'accord avec toi, et les films que tu site sont inscrits dans leurs périodes comme beaucoup d'autres.
Seulement pour mon cas personnel, je ne peux pas vraiment me souvenir de "phénomènes d'époque" ayant marqué mon enfance et mon adolescence: j'ai été nourrie aux films de kung-fu et aux classiques américains, à la chanson française d'avant les années 60 et à la musique classique, gouts que j'ai conservé aujourd'hui, pour des choses qui ne sont pourtant pas de ma génération, mais avec lesquelles j'ai effectivement grandi.
A contrario, je suis souvent larguée quand il s'agit de citer des personnages de séries télé ou des groupes qui étaient en vogue pendant mon adolescence (ou encore maintenant).
Je pense donc que c'est l'environnement dans lequel on évolue qui "guide" nos gouts, ça c'est certain, mais que dans certains cas ça ne correspond pas forcément à notre génération (et je crois que c'est le mien).
donc voilou, nos points de vue ne sont pas contradictoires, mais ce que tu disais plus haut ne marche pas forcément tout le temps.
Mais bon, on sait pas, peut-être que dans 10 ans je m'apercevrai des mêmes choses que toi en fait!

11 avril 2009 à 01:06

@ Garance : Effectivement, on voit aussi les choses différemment avec dix ans de plus au compteur, mais tout simplement parce qu'on a un recul sur son enfance / adolescence ;)

Cela dit nous sommes d'accord, par génération j'entends aussi environnement, pour un peu que l'on soit en décalage avec sa génération. Mon père vivait avec la sienne (les Beatles, Jacques Brel, Clint Eastwood, les James Bond) et je me refusais (complexe d'Oedipe ?) à suivre ses traces, donc j'ai longtemps été insensible à tout ça. Et puis j'étais bien trop amoureux de ma génération (Michael Jackson, Queen, Nirvana, Metallica, Iron Maiden, Pretty Maids, la SF avec Ridley "Alien" Scott et James "Terminator" Cameron ou les séries TV type Galactica et V, Starfighter, Daryl, l'avènement des jeux vidéos, etc) pour vivre en dehors de mon temps. Mes goûts cinématographiques s'en ressentent (le cinéma américain et asiatique des années 80-90) faisant de moi un type encré à son époque.

Nous avons en tout cas le point commun d'être en décalage avec la plupart de nos camarades. En même temps, je ne m'en plains pas :]

Ce qu'il faut, c'est rester "open" : moi, je me suis ouvert au cinéma d'avant la génération des Coppola et autres Lucas, et même si j'ai énormément de mal avec la Nouvelle Vague (et le cinéma français en général), on se surprend parfois à apprécier un autre cinéma. C'est le cas avec Ariane et Billy Wilder. La faute à Mr P., il m'a contaminé avec sa passion pour le cinéma classique hollywoodien :p

11 avril 2009 à 09:10

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