Il y a un avant-Fish Tank, qu'il est plus ou moins facile de discerner au gré des éléments qui jalonnent le film, expliquant comment une adolescente peut en être arrivée au point d'être en conflit frontale avec sa mère, et pourquoi la danse est le seul exutoire qui lui permette d'échapper un temps à la morosité de son existence. Mais pire encore, il y a un après-Fish Tank, et celui-ci nous apparaît déterminant, nécessaire pour accompagner jusqu'au bout l'héroïne dans sa souffrance et sa perdition. Car malgré ses deux longues heures, le film d'Andrea Arnold est bien trop court. Il subsiste au final un sentiment de non-achevé, comme s'il y avait encore à raconter, et comme s'il nous fallait encore plus de temps pour réussir à tout ingurgiter.
Autant dire qu'en soi, ce que le temps du récit nous raconte est une franche réussite. Tout d'abord parce que les acteurs sont absolument parfaits, dans la manière d'être autant que dans la manière de paraître. A ce titre, il convient de saluer les premiers faits d'arme de la charmante Katie Jarvis, délicieuse dans la peau d'une ado' rebelle à qui on aurait autant envie de coller deux baffes qu'on pourrait en tomber amoureux. Ce qui arrive à Michael Fassbender, décidément sur tous les fronts depuis sa prestation remarquée dans 300. Et ce n'est pas celle qu'il livre ici qui risquera de faire chuter sa côte de popularité. Réussissant à trahir toute l'ambiguïté de l'interdit, il donne à voir le plus complexe de l'homme, cette lutte intestine constante entre passion et raison, entre pulsions et émotions.
Au final, la métaphore poétique ne laisse pas insensible quand bien même son apparente austérité, car Arnold, aidée par une superbe photographie, capte au coeur de cette chronique sociale la part d'onirisme qui confine la détresse en moteur-action rayonnant, sans jamais trop en faire mais sans jamais laisser son personnage principal confronté à l'implacable réalité, en insistant sur les raccords regard qui pimentent le jeu entre elle et l'homme qu'elle convoite, cet homme qui ne lui est pas promis et qui pourtant lui semble destiné. C'est aussi naïf que c'est puissant, et c'est bel et bien pour cela que c'est incroyablement touchant.
En bref : Le prix obtenu à Cannes n'est pas volé, car Fish Tank résulte de la somme des intérêts du drame social et d'une touche de lyrisme décadent, aux confins d'une réalité qui se dissout à mesure que Katie Jarvis rêve son enfer. Andrea Arnold aurait pu raconter davantage pour aller au bout de ses prétentions, mais ce qu'elle réalise suffit pourtant à se laisser embarquer sans peine dans un récit débordant d'humanisme. On appelle également cela un coup de coeur.
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