La messe est dite dès la fin du générique : ce qui n'aurait pu être qu'un biopic sur l'une des plus grandes gueules françaises du siècle dernier se révèle être un conte moderne diablement culotté. Loin des velléités nourries par Antoine de Caunes pour son film sur Coluche (lire la critique), Joann Sfar compose avec des ambitions autrement plus audacieuses, sinon personnelles, pour brosser le portrait de Serge Gainsbourg, poète maudit avec son éternelle clope au bec aussi imprévisible qu'imperceptible.Toute l'insolence de la démarche de Sfar est de réussir à conjuguer avec brio vérités inaliénables et inventions fantasmagoriques, le tout enrobé de trouvailles narratives et visuelles confinant à une indécence des plus jouissives. A commencer par l'idée de faire cohabiter Gainsbourg et Gainsbarre à travers une marionnette, foutrement subversive, caricature suivant dans l'ombre l'artiste dans ses déambulations, image nostalgique et tortionnaire d'un homme qui cédera à ses démons à la fin d'une longue route pavée de provocations légendaires et d'inspirations sylphidiques. Une magnifique métaphore du génie à double tranchant, évacuant les pores incestueux d'une illumination impulsive qui caractérisait l'art de ce grand bonhomme. On retrouve là toute la force inhérente au cinéma qui ne s'encombre pas d'explications superflues quand un plan au service d'une belle histoire suffit à raconter. Constamment dans l'effleurement, le cinéaste ne s'encombre pas de réalités connues de tous et évite ainsi le piège des vignettes-clichés, privilégiant une approche romantique et romanesque du personnage avec élégance et sagacité.
Il manquera bien sûr la profondeur que l'approche évanescente ne permet pas, la descente aux enfers et la transformation attendue de Gainsbourg en Gainsbarre, le séducteur se métamorphosant en provocateur, mais Sfar navigue vers d'autres horizons, moins manichéens, et embarque sans peine le spectateur dans un voyage qui est le sien dont la qualité est d'être à la portée de tous.
Dommage dès lors que l'apparition à l'écran de Boris Vian, pourtant pygmalion mythique de Gainsbourg, Juliette Gréco, plante vénéneuse irrésistible, et France Gall, cruche au trait insidieusement forcé pour correctement l'esquisser, ne soient qu'anecdotiques. Ces irruptions à vocation certes dialectiques auraient pourtant mérité d'être occultées ou approfondies, mais en l'état, elles manquent de probité.
C'est cet ensemble de paris osés et de partis pris qui donne à Gainsbourg - (vie héroïque) sa couleur éclatante d'intimité et permet aux maladresses de trouver l'acception absolue et indispensable au tracé original et enivrant imposé par le dessinateur du Chat du rabbin. De cette complicité sollicitée dès la première minute naît une fascination à la fois pour le personnage et en même temps pour le film qui le dépeint. Ce n'est certes pas un chef-d'oeuvre, mais cela reste du grand art !








