Le Livre d'Eli  

Posted by Azariel in

Huit ans après le labyrinthique From Hell, porté par un Johnny Depp impeccable, les frangins Albert et Allen Hughes remettent le couvert avec Le Livre d'Eli, conte post-apocalyptique réservant autant de bonnes que de mauvaises surprises.

Eli, c'est Denzel Washington. La démarche certaine, la stature imposante, l'acteur transpire le danger et apporte à son personnage une opacité émotionnelle rivalisant avec sa transparence féline. Il faut dire que le bonhomme, apparemment expert dans le maniement du long canif' bien aiguisé, protège à la fois le contenu et le contenant d'un bouquin depuis trente ans. Trente ans d'errance dans un monde où les humains en majorité ne savent plus lire, ne connaissent que la barbarie, et apprécient inviter leurs voisins pour dîner. En face, Gary Oldman, inoubliable comte Vlad Dracul chez Francis Ford Coppola, tente ici derrière sa mine blafarde et ses traits tiraillés par la fatigue de se montrer apte à menacer la mission évangélique de notre anti-héros, avec une réussite très relative : entouré de gros bras à la psychologie et au look des plus conventionnels et à la débilité surlignée dès les premiers moments, le danger qu'il représente s'avère quasi-inexistant et les rapports de force manquent dès lors d'enjeux narratifs.

Reste alors la longue traversée d'Eli dans les plaines désertiques qui jadis furent notre monde, ponctuée par quelques scènes d'actions spectaculaires et de trop nombreuses envolées logorrhéiques sur les principes éculés de la religion, présentés ici au gré d'un scénario prenant des directions inattendues (on nous vendait au départ un thriller d'action sanguinaire post-apo', on se retrouve avec une pub' de luxe sur les bienfaits du catholicisme), convaincantes dans leur élaboration (belle surprise finale qu'on ne voit pas venir), mais manquant de finesse de par leur résonance sentencieuse.

On the Road, Jack !

Le Livre d'Eli n'est pourtant pas un échec malgré ses bases fantastiques friables et ses élans moralistes réfutables. Car si la rencontre entre La Passion du Christ et Mad Max 2 ici ne prend pas, il est des qualités qui rendent le tripe des frères Hughes envoûtant. A commencer par la mise en scène, nerveuse et inspirée, calibrée pour trancher entre les moments d'instabilité les plus sombres et les passages violents les plus dynamiques. Ce clivage donne le coup de fouet nécessaire pour empêcher le long métrage de lasser l'attention tout en diminuant les effets néfastes des passages à vide inhérents à ce genre de construction narrative.

Ajoutons à cela une photographie léchée à travers un gris noirâtre particulièrement immersif et un véritable sens du plan d'ensemble dont Don Burgess est à l'origine, une conscience innée et esthétisante du décor et de ses richesses qui avait déjà fait le bonheur d'Antartica, prisonniers du froid de Frank Marshall ou encore de Spider-Man de Sam Raimi. Tout cela participe à ce sentiment de satisfaction concluant davantage à une réussite globale qu'à un naufrage catholico-musclé sans âme, d'autant que Le Livre d'Eli se réclame d'être bien plus qu'une honnête série B : le charme est là, en plus.




En bref : Derrière son discours moraliste lourdingue et un méchant totalement dénué de charisme se cache un film à l'intrigue captivante et à la mise en scène nerveuse et maîtrisée. Le Livre d'Eli tranche nettement avec l'approche formelle de La Route, sorti quelques semaines plus tôt, pour nous offrir une nouvelle vision post-apocalyptique du monde que peut devenir le nôtre à force de tendre vers cette destinée. L'approche fantastique élude hélas un propos qui n'en avait pas besoin du fait de ses ficelles sentencieuses un brin trop épaisses. Reste Denzel Washington, impeccable dans ce rôle de moine-guerrier que rien ni personne ne pourra arrêter.

Rang : B

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7 commentaires

Il me dit bien ce film ;)

26 janvier 2010 à 13:17

"une pub de luxe pour les bienfaits du catholicisme", ça m'a bien fait rire!
D'autant que c'est vrai et ça devient un peu gênant, à mesure que le film avance, alors que le reste est en effet assez plaisant. On peut imaginer, au vu de la fin, qu'il aurait pu s'agir d'un tout autre livre. Et peut-être d'ailleurs que s'il s'était agit de l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert, la portée aurait été bien différente!

26 janvier 2010 à 23:26

Je n'ai pas encore été voir ce film, peut être ce week end. Quoique si je trouve La Route j'irai le voir d'abord ou Solomon Kane, je ne sais pas.

Ce film m'attire par son coté survivors et monde post-apocalyptique. Je suis toujours fan de ce type de scénario (même si c'est très tendance en ce moment).

Par contre le coté pub pour la religion, ça me fait chier d'avance.

Je commence à en avoir plus que marre de cette dictature de la religion. On en bouffe dans quasiment tous les films américains, à divers degrés.

Et puis s'il nous foute encore une morale à deux balles, c'est saoulant aussi. Là aussi c'est une constante forte. Je déteste quand des gros blockbusters veulent se donner une conscience en nous servant une morale à 2 balles, convenue, niaise et surtout qui arrive avec des gros sabots.

M'enfin j'irai quand même bien me perdre dans ce monde post-ap

27 janvier 2010 à 09:46

Quand tu dis que du déteste quand les gros blockbusters veulent se donner une bonne conscience en nous servant une morale à deux balles etc. tu pensais à Avatar ? :D

28 janvier 2010 à 11:11

@ Aleks : Tu sais ce qu'il te reste à faire ! :-)

@ Sylvaine : Ô Amérique te voilà envoûtée
Par le sacro-saint livre des païens et des âmes damnées !
Jure-lui fidélité
Et Hollywood sera à tes pieds !

Azariel, 2010.

@ Kameyoko : Déjà, Solomon Kane, tu peux faire une croix dessus (sisi, je t'assure, tu me remercieras par la suite).

A choisir entre La Route et Le Livre d'Eli, perso', je n'ai pas l'ombre d'un doute, le premier vaut largement plus le détour que le second.

@ ada : J'parie que t'as marqué un 3 points sur ce coup :D

28 janvier 2010 à 23:29

@Ada : Si tu parlais bien de mon commentaire, je ne parlais pas forcément d'Avatar, puisque j'ai bien aimé même si...

Je pensais plus à 2012 et toutes les con**** qui sont sorties de ce film niveau "bêtise morale ou pas américaine".

Mais les exemples sont tellement nombreux

2 février 2010 à 18:03

@ Kameyoko : ada évoquait bel et bien ton commentaire.

Effectivement, je n'avais pas fait le lien avec 2012, mais c'est en effet un parallèle que l'on peut facilement tracer quant à "la morale à deux balles" que tu évoquais.

En revanche, en ce qui concerne la religion, elle a toujours été et de tout temps présente dans le cinéma américain (DeMille, Scorsese, etc.), et plus encore : si l'on se penche sur leur histoire ou leurs arts, la Bible fait partie intégrante et constitue l'essence de la nation américaine, d'où ma non-surprise en assistant à sa célébration dans un film comme Le Livre d'Eli.

2 février 2010 à 20:59

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